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Que voulez-vous de plus? et si, par hasard, ils approfondissaient les raisons de leur plaisir ou les causes de leur ennui, lesquelles en trouveraient-ils qui ne fussent encore et toujours l’expression de leur tempérament ou de leurs préjugés? Et de là, dans les genres mêmes qui jadis l’eussent le moins permis, cet étalage naïf du Moi ; de là, dans la critique qui se dit scientifique, cette substitution du goût de l’écrivain à la recherche de la valeur des œuvres ou de la loi des genres; de là enfin ce caractère personnel ou subjectif qui tend à devenir bientôt celui de toutes les formes de la littérature, et de là, — pour en revenir à notre point de départ, — cette abondance de Journaux, de Mémoires, et de Confessions.


II.

S’il ne s’agissait maintenant que de noter les défauts de ce genre de littérature, il n’y aurait rien de plus facile. Elle a d’abord quelque chose d’incivil, et par là je veux dire qui ne va pas seulement contre l’objet de la littérature, mais contre celui même de la société. « Les hommes sont faits pour vivre ensemble, a dit un bon auteur, et pour former des corps et des sociétés civiles. » j’ajouterais volontiers que c’est même le seul moyen qu’ils aient de se consoler du mal de vivre, et que, pour soulager leur misère, il leur faut la mettre en commun. « Mais il faut remarquer, continue Malebranche, que tous les particuliers qui composent les sociétés ne veulent point que l’on les regarde comme la dernière partie du corps duquel ils sont. Ainsi ceux qui se louent se mettant au-dessus des autres, les regardant comme les dernières parties de leur société, et se considérant eux-mêmes comme les principales et les plus honorables, ils se rendent eux-mêmes odieux à tout le monde. » C’est de Montaigne qu’il parlait en ces termes, ou à propos de Montaigne, qui a cependant bien des excuses, et quand ce ne serait que celle d’avoir vécu, lui, dans un temps où chaque pas que l’on faisait dans la connaissance de soi-même, on le faisait pour ainsi dire dans la découverte de l’homme. Qu’eût-il donc dit, s’il eût pu lire, comme nous, les Mémoires de Saint-Simon, les Confessions de Rousseau, les Mémoires de Chateaubriand ! Je choisis, on le voit, mes exemples. Mais les Mémoires eux-mêmes de quelques hommes qui, maîtres un moment des affaires, ont pu se dire avec raison que leur témoignage, importerait un jour à l’histoire, ne seraient pas tout à fait exempts de ce genre de reproches : tels sont les Mémoires de Sully, ceux de Richelieu, ceux du cardinal de Retz ou du maréchal de Villars.

C’est toutefois et surtout des Journaux et des Confessions que l’observation