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avec autant de vivacité sous la monarchie de Juillet que sous la république. Il me souvient que lorsque S. A. R. le duc d’Aumale fut nommé gouverneur-général de l’Algérie, le Constitutionnel, dont j’étais déjà l’un des principaux rédacteurs, critiqua cette nomination, sous l’inspiration de M. Thiers, qui la jugeait contraire à l’esprit de la charte. Il estimait qu’elle découvrait trop, comme on disait alors, la personne du souverain, auquel on ne manquerait pas de faire remonter la responsabilité des actes d’un fonctionnaire qui lui tenait d’aussi près. Je rompis, à cette occasion, quelques lances contre M. Cuvillier-Fleury et M. Alloury, mais avec des tempéramens et dans une mesure qui ne satisfirent point M. Thiers. Je passai donc la plume à M. Duvergier de Hauranne, esprit ardent et à outrance, qui développa dans toute sa rigueur la célèbre doctrine que le roi régnait et ne gouvernait pas. M. de Sacy, jusque-là silencieux, intervint alors dans cette polémique retentissante, et en d’admirables articles, pleins de bon sens, de logique et de fine ironie, il demanda de quel bénéfice il pouvait être pour une nation d’avoir à la tête de son gouvernement un homme sage, éclairé, expérimenté et prudent, s’il était interdit à celui-ci de faire aucun usage de ces dons précieux ? Quant au roi Louis-Philippe, il se contenta de dire avec une malicieuse bonhomie : « Ne croyez pas que M. Thiers soit aussi ennemi qu’il le paraît du gouvernement personnel, seulement il n’aime que le sien. » La suite a fait voir combien cette observation du vieux monarque était fondée.

Quel souverain a justifié mieux que Léopold Ier l’argumentation de M. de Sacy ? Les Belges, nation jalouse de ses libertés, mais calme et avisée, n’ont jamais songé à affaiblir et à contester les prérogatives dont leur constitution a investi le pouvoir exécutif, et ils n’ont pas eu à le regretter pour la prospérité de leur pays. Ils ont, au contraire et à juste titre, tiré vanité de la position éminente que leur souverain, malgré le peu d’étendue de ses états, avait acquise en Europe par sa sagesse et par l’habileté de son administration. Des publications récentes ont fait connaître, longtemps après les événemens, la part considérable, mais discrète, que la reine Victoria et son époux avaient prise, de tout temps, à la direction de la politique britannique. Si l’on en juge par la célébration du cinquantenaire de la reine, il ne paraît pas que ces révélations aient affaibli le respect et l’affection des Anglais pour leur souveraine. Pendant ce temps, la France a renchéri encore sur la doctrine de M. Thiers. Celui-ci se contentait de demander au pouvoir exécutif, quand il ne l’exerçait pas lui-même, de demeurer inactif : M. Grévy a voulu en réaliser la suppression. Fidèle à l’esprit du célèbre amendement par lequel il avait proposé de remettre à la chambre la nomination directe