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jour, de défendre son personnel en demandant qu’on lui indiquât au moins des candidats qui ne fussent pas absolument incompétens : « Lorsque des candidats se présentent en foule pour les places de juges de paix, s’écriait un avocat fougueux de l’épuration, est-il admissible qu’il ne s’en trouve pas pour les places de finance, qui sont payées deux ou trois fois plus ? » Aussi la majorité parlementaire fit créer un sous-secrétariat des finances et fit élever à ce poste un des siens, tout exprès afin de mettre la main sur ces emplois fructueux, et voici le jugement qu’un témoin, peu suspect d’hostilité pour le régime actuel, M. Léon Say, portait, en novembre 1882, sur l’œuvre qui était en train de s’accomplir : « À partir du jour où on a fait fonctionner cette institution, on a remplacé en masse et comme par fournées les agens des régies les plus rapprochées des contribuables. On a recherché les relations que les enfans de seize ans pouvaient avoir avec des adversaires du gouvernement avant de les admettre comme surnuméraires dans les bureaux de l’enregistrement ou des contributions indirectes. On a surexcité outre mesure l’esprit de dénonciation, et développé toute sorte de mauvais sentimens qui sont très contraires à l’intérêt du gouvernement républicain. Il faut avoir passé par les affaires pour se faire une idée du nombre de gens dont la révocation est demandée par ceux qui veulent les remplacer. Les électeurs en quête de places se sont littéralement rués sur leurs députés, et les ont contraints à se faire solliciteurs et à chercher des situations administratives pour eux et leurs enfans. Jamais l’abus des recommandations n’a été poussé aussi loin que depuis quelques années. »

Après avoir tracé ce tableau d’un état de choses qui n’a fait qu’empirer, l’ancien ministre ajoutait : « Cela est très fâcheux, parce qu’il en résulte un mauvais recrutement qui abaisse la valeur moyenne du personnel ; mais c’est surtout mauvais, parce que c’est une école de démoralisation pour le pays. » M. Léon Say avait cent fois raison, et les faits parlent aujourd’hui avec une triste et irrésistible éloquence. Nos législateurs ont commencé par assiéger les ministères dans l’intérêt de leurs amis politiques et de leurs agens électoraux ; ils ont continué leurs démarches afin de procurer des postes lucratifs à leurs proches ; puis, entraînés sur une pente glissante, ils ont pensé à tirer parti de leur crédit, et le marchandage des emplois publics a commencé. Il est inutile d’insister après les lamentables scandales qui viennent d’éclater.

Quelle est l’arme à l’aide de laquelle on a brisé les résistances des ministres ? C’est le budget, dans lequel on fait tout rentrer et qui sert d’instrument pour remanier et pétrir toutes les adminis-