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Augustin lui sut gré de sa franchise, mais il jugea que, puisque le plus renommé des manichéens était incapable de dissiper ses doutes, il était inutile d’en interroger d’autres. Une fois la doctrine ébranlée dans ses bases scientifiques, le reste Jie résista guère, et quelques réflexions suffirent pour lui en montrer le néant.

Il n’était donc plus manichéen, mais il n’était pas catholique. Il flottait entre les croyances, indécis, incertain, et quoique avec un penchant secret qu’il s’avouait à peine, n’osant encore rien affirmer. Cette situation le gênait et il avait hâte d’en sortir. Sa nature n’était pas de celles qui trouvent le repos dans le doute. Il a dit quelque part « qu’il aimait à aimer ; » il aimait aussi à croire, et son esprit avait besoin d’opinions arrêtées autant que son âme avait besoin d’amour.

C’est dans cette disposition qu’il lut pour la première fois Platon, que venait de traduire un professeur célèbre de Rome, Victorinus. Cette lecture lui fit plus d’impression encore que celle de l’Hortensius, et elle eut pour lui plus d’importance. Il nous dit qu’elle lui permit de se faire une idée plus juste de la nature de Dieu. Jusque-là, il n’avait pu le concevoir que sous une forme matérielle ; il se le figurait, a la façon de certains philosophes, ou comme un souffle, ou comme une flamme, qui anime tout l’univers. Le sens du spirituel et du divin lui manquait: Platon le lui donna. Depuis, il a fait bien des progrès dans cette voie ; sa doctrine s’est de plus en plus spiritualisée, ou, si l’on veut, subtilisée ; il s’est plu aux recherches les plus délicates, les plus vaporeuses sur l’essence de l’âme et sur celle de Dieu. Quoi. pie son ferme bon sens l’ait souvent retenu à terre, il a séjourné aussi bien souvent dans le monde des spéculations métaphysiques, et y a entraîné les esprits après lui : n’oublions pas que c’est à la suite de Platon qu’il s’y est élancé.

Mais nous allons voir se renouveler ici ce qui nous a déjà frappés plus haut ; il lui arriva comme à l’époque où il lisait lHortensius. Platon le ravit sans le contenter, ses théories lui en rappelèrent d’autres qui lui semblaient encore plus belles ; elles éveillèrent en lui le souvenir des premiers enseignemens qu’on lui avait donnés, et, pour la seconde fois, l’élan, qui lui était communiqué par la sagesse antique, le porta plus loin qu’elle. Nous avons vu que ce qui avait détourne des ouvrages philosophiques de Cicéron, c’est qu’il y trouvait pas le Christ. Le Christ était dans Platon ; Augustin n’eut pas de peine à le reconnaître dans ce logos divin qui sert d’intermédiaire entre l’homme et Dieu, et qui est la même chose que le Verbe du quatrième évangile. Mais la doctrine platonicienne ne nous présente le Verbe que dans tout l’éclat de sa puissance :