Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 85.djvu/61

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’est un Dieu triomphant, qui crée le monde et le gouverne, et ce que cherchait Augustin, c’était le Verbe fait chair, revêtant la condition des hommes pour être plus près d’eux, acceptant les misères de l’humanité pour les consoler. Cette notion d’un Dieu pauvre, humble, persécuté, les philosophies antiques ne pouvaient pas la lui donner. « Vous l’avez cachée aux sages, disait-il à Dieu dans sa prière, et révélée aux petites gens, afin que ceux qui sont accablés et chargés vinssent à vous. » — Cette fois, il voyait nettement où son âme devait s’adresser pour trouver enfin le repos,

À Milan, où sa conversion devait s’achever, Augustin connut saint Ambroise. C’était alors le plus grand personnage de l’église d’Occident, et peut-être l’un des plus importans de l’empire. Il dépassait les autres évêques par son talent, ses vertus, l’affection qu’il inspirait à son peuple et le respect que les princes lui témoignaient. Sa naissance, ses relations, ses habitudes, le rattachaient à l’ancienne société ; il tenait à la nouvelle par ses croyances et sa dignité, et pouvait ainsi faire une sorte d’union entre elles. Dès que le jeune professeur d’éloquence fut arrivé à Milan, il s’empressa d’aller voir l’évêque dont on parlait partout : il avait bien des conseils à lui demander, bien des doutes à lui soumettre. Par malheur, il ne put pas l’entretenir autant qu’il l’aurait voulu. Saint Ambroise recevait tout le monde, à toutes les heures du jour, et naturellement on abusait beaucoup de sa facilité ; c’était toute la journée un flot de fidèles qui venaient voir leur évêque pour entendre de lui quelque parole d’édification. Augustin y alla comme les autres, mais la foule était si grande qu’il n’eut le temps que de dire un mot. Dans la suite, il y retourna souvent, sans être plus heureux. Il lui est arrivé plus d’une fois de traverser le cabinet où saint Ambroise travaillait et où il admettait tout le monde ; il y venait avec la pensée de lui parler, mais quand il le voyait silencieux, immobile, les yeux fixés sur le texte des Écritures, tandis que son esprit cherchait à en pénétrer le sens, il n’osait pas troubler ses méditations ; comme les autres, il regardait ce spectacle, et s’en allait tristement sans rien dire. « C’est ma seule douleur, disait-il plus tard dans ses Soliloques, de n’avoir pas pu lui découvrir, autant que je l’aurais souhaité, toute mon affection pour lui et pour la sagesse. » Il est clair que saint Ambroise, distrait comme il l’était par des occupations si graves, ne distingua guère ce jeune homme qui se mettait si obstinément devant ses yeux ; il ne sut pas deviner, dans les courts entretiens qu’ils eurent ensemble, le grand avenir auquel il était réservé. Peut-être cet esprit si net, si ferme, si décidé, fait pour l’action et le gouvernement, eut-il quelque peine à comprendre les éternelles hésitations d’un homme qui, depuis plus de treize ans.