de son bon vouloir et de son désir de renouer l’ancienne entente. Il lui déclarait que jamais; il ne ferait un cas de guerre de la limitation; il lui annonçait que la réduction de l’armée était commencé et qu’elle continuerait dans de larges proportions. Au lieu de prendre acte de ces déclarations et de s’en montrer reconnaissant, l’envoyé russe récriminait suivant sa fâcheuse habitude. « Vous vous les placé sur le bord de l’abîme, répliquait-il, et bientôt vous en sonderez les profondeurs. Vous avez sacrifié vos intérêts vitaux, abdiqué toute volonté; vous êtes à la remorque et à la merci de vos alliés. »
Dans les audiences qu’il demandait à l’empereur, il se montrait, au contraire, souple et insinuant ; il faisait appel aux temps passés; il ne doutait pas de son amitié pour la Russie, mais il incriminait son ministre. Il mettait l’amour-propre du jeune souverain en jeu en insinuant que la volonté de M. de Buol était prédominante. Il s’appliquait aussi à jeter la désunion dans le conseil. Il flattait la vanité de M. de Bach et de M. de Brucke, les ministres de l’intérieur et des finances, au détriment du ministre des affaires étrangères. Jamais diplomate n’a mis au service de sa cause plus d’ardeur, plus de ressources d’esprit, plus de souplesse et plus d’obstination. La diplomatie est un sacerdoce lorsqu’au talent elle ajoute l’amour persévérant et réfléchi de la patrie; sentinelle avancée, elle veille à la sécurité des frontières, elle signale les pièges, évente les perfidies, neutralise les coalitions ; c’est elle qui prépare la victoire, conjure les défaites ou atténue les revers. Ses luttes sont laborieuses, ingrates, souvent ignorées, parfois méconnues. «L’histoire est tout le contraire de la vertu récompensée, » a dit un illustre écrivain. Il a dit aussi avec une troublante philosophie : « l’homme est puni de ce qu’il fait de bien et récompensé de ce qu’il fait de mal[1]. » Peu importe à ceux qui aiment et servent leur pays, c’est dans le sentiment du devoir accompli qu’ils trouvent leur récompense.
Le prince Gortchakof aimait le combat; il était possédé d’un véhément patriotisme, mais il lui manquait le sang-froid, qui, à la guerre comme devant le tapis vert des congrès, assure le succès. Un instant, cependant, il faut croire qu’il avait partie gagnée, que l’Autriche se cantonnerait dans la neutralité, que son drapeau était détaché de celui des alliés. M. de Buol n’avait pas manqué à sa parole : il avait procédé à de sérieuses réductions militaires; il avait refusé de faire de la limitation des forces navales de la Russie dans la Mer-Noire un cas de guerre, et la conférence s’était rompue au désavantage moral de la France et de l’Angleterre. L’envoyé du tsar s’attribuait le mérite
- ↑ M. Renan, Etudes d’histoire israélite.