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blessés; mais quand, après notre reddition, nous pûmes reconnaître le petit nombre des vainqueurs, le rouge de la honte couvrit nos visages. »

L’affaire ne dura pas beaucoup plus d’une heure. Comment la peindre? Comment raconter les cinq cents combats des 500 cavaliers? Car chacun eut le sien. « Nous n’étions que 500 hommes, a dit le duc d’Aumale, et il y avait 5,000 fusils dans la smala; on ne tua que des combattans, et il resta 300 cadavres sur le terrain. Nous avons eu 9 hommes tués et 12 blessés. »

A travers l’immense ville de tentes qu’il était impossible de cerner tout entière, il avait fallu faire une coupure. Tout ce qui était par-delà s’enfuit dans un désordre indescriptible. Le plus important des captifs d’Abd-el-Kader, Mohammed-bel-Hadj, délivré par ce coup de fortune, était parmi les fugitifs; après avoir couru les plus grands hasards, il réussit à regagner son douar chez les Beni-Ouragh. Au nombre des 3,000 prisonniers ramassés par le vainqueur, on en compta près de 300 qui étaient considérables ; il y avait notamment la famille tout entière de Ben-Allal, celles de Miloud-ben-Arach et d’El-Karoubi, secrétaire de l’émir. La mère et la femme d’Abd-el-Kader avaient pu s’échapper, grâce au dévoûment de quelques serviteurs fidèles.

Pour garder toute cette multitude, sans parler des troupeaux innombrables, il était temps que l’infanterie arrivât à l’aide. Elle arriva, les zouaves d’abord, puis l’autre colonne, hors d’haleine, mais sans avoir laissé en arrière ni un homme ni un mulet. Elle avait fait 30 lieues en trente-six heures. Le lendemain 17, on brûla les tentes et tout le butin qu’on ne pouvait emporter. Ce jour-là, les députations des tribus les plus proches accoururent et sollicitèrent l’aman. Djelloul-ben-Ferhat, le chef des Ayad dissidens, le frère du fidèle Ameur, envoya son hommage au prince; il était la veille dans la suite de l’émir.

Le 18, la colonne, retardée par l’allure lente des prisonniers et du bétail, reprit la direction de Médéa. Ce fut au bivouac des Chamounia, le 20 mai, deux jours avant d’arriver à Boghar, que le duc d’Aumale trouva le temps de dicter son rapport. Aussitôt dépêché, le courrier atteignit en trois jours le gouverneur au bivouac de l’Oued-bou-Bara, à moitié route de Tenès et d’El-Esnam.

Le général Bugeaud répondit sur-le-champ au prince : « Je reçois votre rapport du 20 mai. L’allégresse était déjà grande, car nous avions reçu dans la journée une très bonne nouvelle de M. le général Changarnier (sur l’affaire du grand pic de l’Ouarensenis) ; mais bientôt votre rapport, répandu dans le camp, y a produit des transports que je n’essaierai pas de vous décrire. On n’était pas seulement