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avoir, à 30 lieues de Taguine, un tragique épilogue. La masse fuyante de la smala, cherchant un refuge dans le Tell, était venue, comme une harde aux abois, se faire prendre aux filets de La Moricière. Ces malheureux, Hachem pour la plupart, avaient été dépouillés par le maghzen de Moustafa-ben-Ismaïl si complètement que le général, avant de les faire conduire dans la plaine d’Eghris, fut obligé de les nourrir et de les vêtir.

Gorgés de butin, les mghazni, Douair, Smela, Gharaba, ne pensaient plus qu’à regagner leurs douars autour d’Oran et de Mostaganem, et d’y rapporter leur part du pillage. Moustafa lui-même, leur général, était aussi pressé qu’eux de partir. Depuis peu de temps, il avait enrichi son harem d’une jeune et séduisante Algérienne. Passionné comme le Vert-Galant, le vieux reître avait hâte de retrouver la belle. Au lieu de suivre, d’après les sages avis de La Moricière, le chemin qui, de Tiaret, mène à Oran par Mascara, il voulut prendre au plus court par un sentier perdu dans les bois. C’était le 23 mai. Les cavaliers, pied à terre, tiraient par la bride leurs chevaux pliant sous le faix. Les Cheurfa, dont ils traversaient le territoire, et qui s’aperçurent de leur désordre, eurent aussitôt la tentation d’en profiter ; au passage d’un défilé, ils attaquèrent. Surpris, surtout préoccupés de sauver leurs bagages, les mghazni n’essayèrent même pas de se défendre : ils ne songèrent plus qu’à fuir. « La peur, selon l’image arabe, pénétra dans ces cœurs de lion par la porte de l’avarice. »

Quelques-uns cependant, retenus par la crainte du chef, étaient demeurés en arrière, avec Moustafa. Droit sur les étriers, le vieux guerrier faisait le coup de fusil ; une balle l’atteignit en pleine poitrine ; il s’affaissa sur sa selle, s’y maintint pendant quelques secondes et glissa doucement à terre. Il vivait encore ; il vécut assez pour se voir abandonné lâchement par des hommes que ne terrifiait plus son regard éteint. Un misérable Cheurfa lui coupa la tête et la main mutilée au combat de la Sikak ; puis il se mit à la recherche d’Abd-el-Kader, pour déposer à ses pieds la sanglante offrande. L’émir contempla longuement cette tête pâle et lui fit donner les honneurs de la sépulture. Racheté par les soins de Kaddour-ben-Morfi, le corps fut enterré, le 29 mai, dans le cimetière musulman d’Oran, en présence du général Thiéry et de toute la garnison rangée sous les armes.

Les mghazni n’avaient même pas eu le bénéfice de leur défaillance; pour sauver leur tête, il leur avait fallu faire le sacrifice de leurs bagages. Les premiers arrivés sous Oran avaient parcouru 56 lieues en vingt heures. Accueillis avec horreur et presque repoussés de leurs douars, ils durent expier leur lâcheté par une pénitence de quarante jours. Le neveu de Moustafa, El-Mzari,