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19 juin, les cheikhs de cette puissante tribu, entraînés par la grande influence et par l’exemple de Mohammed-bel-Hadj et de Si-Ahmed ben-Marabot, le premier des marabouts de Bess-Ness, se présentèrent au camp du gouverneur et lui firent hommage. Pour couronner son succès, ce fut le lendemain que la fortune lui livra la malheureuse colonne des Flitta, Beni-Meslem et Keraïch émigrans, qui venaient à grand’peine d’échapper à La Moricière.

Tout l’Ouarensenis paraissait soumis: où donc Abd-el-Kader trouverait-il à se recruter? Il se recrutait cependant, et les cadres de ses bataillons reformés commençaient à se remplir. Le 10 juin, c’était un bruit à Mascara qu’il avait paru chez les Assasna, dans la Yakoubia. Aussitôt le colonel Géry se porta sur l’Oued-el-Abd à Tragremaret. Là il apprit qu’en effet l’émir était à peu de distance, à Djidda, occupé à faire recueillir par ses réguliers des grains qu’un grand convoi de chameaux devait transporter à ce qui existait encore de la smala.

Dans un corps frêle, le colonel Géry avait une âme ardente et une volonté de fer. Il savait communiquer à ses troupes l’ardeur qui l’animait. Elles venaient de faire 10 lieues dans la journée; le 22, à une heure du matin, il les remit en marche; à quatre heures, il n’était plus qu’à 2 lieues du camp de l’émir ; à cinq heures et demie, le capitaine Chavras, à la tête des spahis, du maghzen de Mascara, des goums des Assasna et des Ouled-Brahim, allait surprendre l’ennemi, qui se gardait mal.

Il faut citer ici, dans la vivacité de son entrain, le rapport même du colonel: « Le signal de l’attaque est donné; les cris de guerre des Assasna et des Ouled-Brahim se font entendre. L’ennemi en un instant est sous les armes: ses tambours battent la générale; ses trompettes sonnent à cheval ; une vive fusillade accueille les Assasna et les Ouled-Brahim, qui, au lieu de continuer et d’exécuter l’ordre qui leur avait été donné de tourner le camp de très près, afin de l’embrasser et de rendre la fuite impossible, se replient en désordre. Les spahis et le maghzen, au contraire, abordent franchement l’ennemi; la résistance augmente leur ardeur. L’émir dirige sur eux ses forces. Ils ne peuvent, abandonnés qu’ils sont par nos nouveaux alliés, enfoncer d’abord la double ligne de réguliers à pied et à cheval qui leur est opposée ; ils tournent cette ligne et entrent dans le camp au moment où le bataillon du commandant de Marcy et celui du commandant Meunier, dirigés par le lieutenant-colonel O’Keff, arrivent au pas de course sur le front de la ligne ennemie. Dès lors, la victoire fut assurée.

« L’émir, qu’on avait vu au milieu d’un groupe d’une trentaine de cavaliers, animant ses troupes à la résistance, prit la fuite au galop. Son infanterie, culbutée par les spahis, le maghzen et le 56e,