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un prince ; mais, avant de dire que je croyais qu’on avait trop précipité l’offensive au centre et à la gauche, je m’accusai moi-même de n’avoir pas livré combat sur la rive gauche de l’Oued-Boutane au lieu de la rive droite. Ce n’était donc qu’une dissertation pour notre instruction mutuelle. S. A. R. Mgr le duc de Nemours ne parut nullement blessé ni de mes réflexions ni du ton dont elles étaient faites : mais M. le général Changarnier prit la parole avec aigreur et emportement. Il prétendit que j’outrageais le prince et ses braves troupes. Je me contentai de remettre M. le général Changarnier à sa place, lorsque j’aurais dû le punir et même vous demander son rappel.

« Quelques jours après, les circonstances de la guerre nous séparèrent. Je fus avec le prince prendre Takdemt et Mascara, et je laissai au général Baraguey d’Hilliers le commandement des troupes. Le général Changarnier fut très indiscipliné avec son nouveau chef, qui le contint avec fermeté, quand je revins, il me demanda faiblement à rentrer en France. Je lui répondis que, quant à moi, je saurais parfaitement me passer de lui, mais que mon devoir comme chef était de lui dire qu’il faisait une grande faute, envers le pays et envers lui-même, de quitter dans un moment pareil. Il se décida à rester. Depuis, je l’ai toujours traité avec beaucoup d’égards et de ménagemens, bien que sa correspondance fût souvent aigre et pointilleuse.

« En février dernier, il lut dans le Moniteur de l’armée une compilation de mes rapports dans laquelle il crut voir une attaque à sa réputation. Il ne manqua pas de me l’attribuer, malgré la bienveillance dont je lui avais donné tant de preuves, — mes rapports sont là pour l’attester, — Et il m’écrivit (le 12 février) la lettre que j’ai l’honneur de vous communiquer. C’était un acte de la plus haute indiscipline. Je le fis venir et, après lui avoir représenté combien sa conduite était repréhensible sous tous les rapports, combien peu il reconnaissait les procédés bienveillans que j’avais eus pour lui, je lui prouvai son erreur par ma correspondance. Alors il s’excusa en pleurant; j’en fus touché et je lui dis : « Je ne veux pas briser votre carrière en vous prenant au mot ; vous rentreriez en France, où vous seriez oublié. Retournez à votre poste et continuez de bien servir votre pays. » Vous savez mieux que personne, monsieur le maréchal, si je lui ai tenu rancune. Ce n’est pas, je vous assure, que je n’aie eu à me plaindre de lui. Sa correspondance a été souvent fort inconvenante. Beaucoup de rapports qui me revenaient de gens très véridiques étaient faits pour m’aigrir; je n’en ai tenu aucun compte; j’ai continué à vous parler de lui dans les termes les plus flatteurs, et lorsque M. le général Baraguey d’Hilliers est revenu, je l’ai envoyé dans la province de Constantine,