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qu’une partie des éloges accordés à l’un de ses lieutenans pouvait se ressentir de ses relations avec d’autres (entendez La Moricière ; mais l’insinuation est aussi mal fondée qu’elle est méchante). Retirez-moi de ce pays, monsieur le maréchal, de ce pays qui m’a si bien traité, où j’ai passé de longues années laborieusement occupées, mais que les procédés de M. le gouverneur-général me rendent odieux désormais. Mon excellente santé y succomberait infailliblement, moins à des fatigues incessantes qu’à des peines morales que je ne puis plus supporter. » Cette lettre, et surtout le dernier paragraphe, attira sur son auteur le blâme le plus sévère du maréchal Soult.

Enfin, pour clore l’enquête, voici une dernière dépêche du maréchal Bugeaud au ministre : « Ma conduite avec le général Changarnier n’a pas cessé d’être bienveillante et même généreuse, car je lui rendais le bien pour le mal. Ma longanimité, mes bons procédés répétés, rien n’a pu adoucir ce caractère orgueilleux et altier avec ses chefs, dur jusqu’à la grossièreté avec ses subordonnés. M. de Tinan, votre aide-de-camp, a été témoin du langage inconvenant qu’il m’a tenu parce que je lui avais dit, et avec de grands motifs, que l’inspection générale ne devait pas lui faire négliger les affaires de son gouvernement. A part un très petit nombre d’officiers, les autres le voient partir avec plaisir. Il lui est arrivé quelquefois de traiter des colonels comme on ne traite pas des laquais. Vous pouvez être tranquille, monsieur le maréchal ; l’absence du général Changarnier ne se fera pas sentir, lors même que la guerre redeviendrait ce qu’elle a été. »

Comme épilogue à ce conflit, Changarnier a dit dans ses mémoires : « Poliment, mais froidement accueilli par le roi, les princes, le maréchal Soult et les autres ministres, j’acquiers la certitude que roi, princes et ministres ont pris parti contre moi pour Bugeaud. Je ne montre aucune irritation et je n’essaie auprès d’aucun d’eux une justification dont je n’ai pas besoin. Ils ne croient pas au bon droit de ce serviteur bruyant de la monarchie du Juillet, mais à l’utilité de lui tout sacrifier. On me laisse sans emploi; je ne réclame ni ne me plains. » Cette surprise de n’être pas accueilli par des félicitations est bien de l’homme qui, après avoir fait échouer le premier projet du général Bugeaud sur Tenès, s’étonnait de n’avoir eu de lui aucun remercîraent.


VI.

Le 18 juillet, quelques jours après avoir reçu le bâton, le maréchal Bugeaud avait écrit au maréchal Soult : « Oui, la grosse guerre est finie, la conquête est assurée, le pays est dompté sur presque toute