Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 85.djvu/807

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

marche d’une longue file de mulets ; tout cela cheminait dans la broussaille.

À cette vue, Morris, laissant un de ses escadrons en réserve, lança les trois autres contre l’infanterie ; mais au moment de l’atteindre, il vit tout à coup déboucher sur sa gauche 400 khielas en très bel ordre, conduits par l’émir en personne. Le colonel n’eut que le temps de leur faire face avec un de ses escadrons, pendant que les deux autres et les spahis continuaient leur course. Débordé, entouré par les khielas, Morris eut quelque peine à dégager et à rallier ses hommes sur l’escadron de réserve ; mais alors la charge fut reprise ; à côté du colonel galopaient deux officiers d’état-major, les capitaines Jarvras et Trochu. Ce retour offensif eut enfin raison des khielas, qui tournèrent bride. Pendant ce conflit des cavaliers, l’infanterie d’Abd-el-Kader avait jeté bas, par un feu de salve, le tiers du premier des deux escadrons lancés contre elle ; mais, au lieu de continuer à tenir ferme, apercevant le 13e léger qui arrivait au pas de course, elle gagna promptement le fourré d’un ravin et se mit hors d’atteinte.

Au moment de la salve, le capitaine adjudant-major de cette avait été démonté ; retardé par une ancienne blessure qui l’empêchait de courir, il allait être tué ou pris, quand le trompette Escoffier, mettant pied à terre, lui amena son cheval et lui dit : « Montez vite, mon capitaine ; c’est vous et non pas moi qui rallierez l’escadron. » Le brave trompette fut fait prisonnier ; mais Abd-el-Kader, instruit de son généreux dévoûment, le fit traiter avec égard. Cité à l’ordre de l’armée par le maréchal Bugeaud, nommé chevalier de la Légion d’honneur, Escoffier reçut la croix pendant sa captivité même, devant le front des réguliers rangés sous les armes. Il fut échangé l’année suivante. Dans ce combat de Sidi-Youcef, Abd-el-Kader perdit un de ses lieutenans, Abd-el-Baki, khalifa des tribus sahariennes, et six officiers de khielas.

Après s’être tenu caché dans la forêt des Assasna, l’émir fit, le 1er  octobre, une apparition soudaine et rapide à l’entrée de la plaine de Sidi-bel-Abbès, pilla un douar des Beni-Amer et disparut à l’approche du commandant de Barral. Des débris de ses forces organisées, il ne lui restait plus que deux petits bataillons d’askers qu’il confia au meilleur de ses lieutenans, Ben-Allal, tandis qu’il s’en allait, avec 200 khielas, essayer de faire des recrues sur la frontière indécise de l’Algérie et du Maroc. De son côté, le maréchal Bugeaud, après une tournée militaire dans l’Ouarensenis, avait poussé jusqu’à Mascara, et venait d’y laisser un gros renfort de cavalerie, quatre escadrons du 4e chasseurs d’Afrique, sous les ordres du colonel Tartas.

Le 6 novembre, une colonne de 800 hommes de pied et de 500 chevaux, chasseurs et spahis, commandée par le général Tempoure,