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de Gerlach n’en revenait pas: il levait les mains au ciel en le voyant se commettre avec un Bonaparte. « Jamais, disait-il, il n’aurait dû assister à des fêtes qui sont la honte de la royauté et de la chrétienté. »

Il était dans la destinée de M. de Bismarck d’être méconnu par ses amis et par ses adversaires. Mais peu lui importaient les lamentations de ses coreligionnaires politiques, il entrevoyait le chemin de Damas, il allait bientôt s’y engager résolument et déserter la politique étroite de la Gazette de la Croix, dont naguère il était l’inspirateur, pour faire de la politique européenne, dégagé des erremens du passé.


II. — LA PRISE DE SEBASTOPOL.

On s’était résigné en France et en Angleterre, après s’être irrité et désespéré, aux nécessités et aux lenteurs de la guerre ; on s’attendait à passer un hiver de plus en Crimée, on se consolait avec les souvenirs de la guerre de Troie, lorsqu’on apprit soudainement la chute de Sébastopol. Le 8 septembre, à midi, en plein jour, le signal de l’assaut avait été donné, et dans la nuit, après la prise de la tour Malakof, qui était le point vulnérable de la place, la ville et la flotte avaient disparu dans un immense brasier. La défense par son héroïsme s’était montrée à la hauteur de l’attaque. La victoire nous coûtait cher : cinq généraux, une vingtaine d’officiers supérieurs, plus de 7,000 hommes hors de combat. Les pertes des Anglais n’étaient pas moins cruelles. Le général Gortchakof avait fait sauter les défenses, les magasins, les vaisseaux et les édifices publics ; son œuvre de destruction accomplie, il avait passé avec les restes de sa vaillante armée sur la rive du nord, ne laissant aux alliés, suivant son expression, que des ruines ensanglantées; mais cette fois, du moins, l’incendie ne projetait pas, comme à Moscou, ses sinistres lueurs sur nos désastres. La longueur du siège, l’immensité des moyens mis en action, l’opiniâtreté de la résistance qui n’avait pu être dépassée que par l’indomptable obstination de l’attaque, faisaient du 8 septembre 1855 une de ces grandes dates qui marquent dans les annales de l’histoire.

Quelles allaient être les conséquences de ce dénoûment précipité par la vaillance de nos soldats, si surprenant par sa rapidité et si émouvant par sa grandeur? Le but de la guerre paraissait atteint, l’Orient était soustrait à la domination qui le menaçait, nos escadres étaient maîtresses de la Mer-Noire, de la mer d’Azof, de la Baltique et de l’Océan-Pacifique; le pavillon russe avait partout