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Aucun péril n’arrêta Mme de Custine. Tous les jours, elle était au Palais de Justice, dès six heures du matin ; là, elle attendait que son beau-père sortît de la prison : elle lui sautait au cou, lui donnait des nouvelles de ses amis, de sa famille. Lorsqu’il paraissait devant ses juges, elle le regardait avec des yeux baignes de larmes. Elle s’asseyait en face de lui, sur un escabeau au-dessous du tribunal. Lorsque l’interrogatoire était suspendu, elle s’empressait de lui offrir les secours que son état exigeait ; entre chaque séance, elle employait les heures de repos à solliciter en secret les juges ou les membres des comités.

Plus tard, quand on l’interrogeait sur cette partie de sa vie si glorieuse et si douloureuse, Mme de Custine se taisait. La raconter, c’était presque la recommencer[1].

Dans ses courses, elle se faisait accompagner par un ami de la famille, vêtu d’une carmagnole, sans cravate, les cheveux non poudrés, coupés à la Titus. On le prenait pour un domestique ; c’était M. de Chaumont-Quitry.

« Avant-hier, écrit la Gazette française du 21 août 1793, cette femme intéressante par sa sensibilité et sa piété filiale sortait du Palais de Justice, au milieu de la foule. Le sourire était sur ses lèvres ; on crut qu’elle riait. Quelques femmes, peu touchées de sa situation, se mirent à crier : « Elle rit, mais elle ne rira pas longtemps. C’est la fille de Custine ; son père jouera bientôt à la main chaude. »

Ce n’était que le prélude d’une des scènes les plus dramatiques de cette terrible époque. « À l’une des dernières séances du procès, dit son fils, les marques d’intérêt données à Mme de Custine avaient violemment irrité l’accusateur public, Fouquier-Tinville ; des ordres menaçans furent secrètement envoyés aux septembriseurs qui attendaient sur le perron. Le général venait d’être reconduit à la prison, sa belle-fille s’apprêtait à descendre les marches du Palais de Justice, pour regagner à pied et seule le fiacre qui l’attendait dans une rue écartée. Timide et presque sauvage, elle avait eu toute sa vie par instinct une peur déraisonnable de la multitude. Tremblante devant la foule, elle s’arrête au haut de l’escalier ; un ami du général parvient à lui faire remettre un billet qui l’avertissait de redoubler de prudence. Cet avis accrut le danger au lieu de l’éloigner. Mme de Custine, plus épouvantée, avait moins de présence d’esprit ; elle craignait de tomber par terre, et elle voyait sa tête au bout d’une pique, comme celle de la pauvre Mme de Lamballe. Cependant, à mesure qu’elle descendait les marches, la foule, de plus en plus épaisse et furieuse, la poursuivait de ses clameurs : « C’est

  1. La Russie en 1839, t. I, lettre II. — Gazette française, 1793, no 599.