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des secrétaires de Bouchotte, Pierre Cellier, accusa vivement Custine devant le comité de saint public. Il disait qu’étant entré dans le camp pour distribuer des journaux patriotiques, tels que le Journal de la Montagne, le Journal des hommes libres, le Père Duchesne, il avait été arrêté avec quelques autres colporteurs et conduit au général, qui s’était écrié : « Vous êtes des êtres trop méprisables pour que je m’occupe de vous ! » Et il les avait envoyés devant un des représentans du peuple en mission, qui les fit conduire à la citadelle de Cambrai, où ils restèrent deux jours.

Un réseau de sourdes inimitiés enserrait Custine ; aussi résolut-il de se rendre à Paris. Par une lettre du 30 juin, il demande au comité de salut public l’autorisation de venir lui développer ses plans militaires ; une délibération du 5 juillet 1793 lui accorde cette autorisation. Sa destitution était déjà résolue. Arrivé à Paris le 18, il écrit au président de la Convention cette lettre si caractéristique : « Appelé par les ordres du comité de salut public, je ne veux pas entrer dans le lieu des séances de la Convention sans lui offrir, par votre organe, l’hommage de mon respect, de mon obéissance aux lois qui constituent la république, et de mon inviolable attachement à son unité et à son indivisibilité. »

Dès le lendemain, Custine fut l’objet d’une mesure à laquelle Clavière et Lebrun, deux ministres en exercice, n’avaient pu eux-mêmes se soustraire. On le plaça sous la surveillance d’un gendarme qui le suivait partout, jusqu’au théâtre. Des ovations bruyantes étaient faites au général par le public. Les jacobins demandèrent qu’on mît fin à ce qu’ils appelaient un scandale. Danton ajoutait : « Condé a capitulé faute de vivres, Valenciennes est cerné, il faut que Custine soit jugé. » On l’arrêta le 22 juillet 1793. Transféré le 26 à l’Abbaye, il écrivit à la Convention : « Je suis arrêté depuis cinq jours et n’ai pas encore été interrogé. » La capitulation de Mayence fit taire tous les scrupules ; sur la motion de Billault-Varennes, dans la séance du 28 juillet, il est décrété d’accusation. Son fils était près de lui, résolu à le défendre. Delphine, qui vivait, nous le savons, dans un petit village de Normandie, apprend l’arrestation du général. Elle quitte aussitôt son asile, son enfant, pour courir au secours de son beau-père ; tous les dissentimens politiques qui les avaient brouillés s’effacèrent de sa mémoire ; elle fut, durant tout le procès, sublime de courage et de dévoûment.

Leur première entrevue fut touchante. À peine le vieux soldat eut-il aperçu sa belle-fille, qu’il se crut délivré. Sa beauté, sa jeunesse, la fierté de sa tenue, inspirèrent bientôt un tel intérêt aux journalistes, au peuple et même aux juges du tribunal révolutionnaire, que les misérables acharnés à la perte du général voulurent terroriser Delphine, son plus éloquent défenseur.