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Dumas crut devoir lire aux jurés la correspondance de l’accusé, mais il tronqua impudemment les lettres pour en abuser. François-Philippe de Custine s’en aperçut, et, se levant avec vivacité, il s’écria : « Citoyens jurés, je demande que le président lise mes lettres en entier. Il les tronque pour me perdre. Je vous demande justice de cette mauvaise foi. »

Le président, embarrassé et se voyant pris sur le fait, expliqua que les jurés auraient bientôt sous les yeux toute la correspondance et jugeraient d’après les pièces. La lettre que Dumas dénaturait fut expliquée avec beaucoup de sang-froid et de fermeté par l’accusé. Il écrivait à de Lessart, ministre des affaires étrangères, qu’il avait espéré pendant plusieurs jours que le duc de Brunswick accepterait les propositions de la France ; mais que les puissances coalisées avaient opposé des offres supérieures aux nôtres, et que le duc paraissait disposé à préférer le trône de Pologne, qu’on lui promettait, à l’honneur de commander les armées françaises. Dumas avait mutilé cette lettre de façon à faire entendre au jury que l’accusé avait été chargé d’offrir le trône de France au duc de Brunswick.

Cette accusation, qui se retrouve dans les Girondins de Lamartine, dans l’ouvrage de Louis Blanc, était démentie par la correspondance. Si elle avait été lue, elle aurait suffi à disculper l’accusé. La dépêche de Lessart, du 10 février 1792, faisait tomber cette calomnie[1].

Le public, satisfait de l’explication de François-Philippe de Custine et convaincu de la mauvaise foi du président, continuait à répéter : « Mais il n’y a rien là-dedans ; certainement le pauvre jeune homme sera acquitté. » Alors certains hommes soudoyés, se glissant dans les groupes, jetaient tout bas ces mots : « Si le jeune Custine est acquitté, il vengera le sang de son père. »

Enfin, le président irrité l’interrogea sur les desseins du général ; il répondit : « Je n’ai jamais connu d’autre dessein de mon père que de bien servir la république. Je n’ai jamais été qu’un moment auprès de lui, à l’armée. Depuis longtemps, je me suis borné à faire les commissions de mon père auprès des comités, ainsi qu’on en peut juger par mes lettres interceptées. Il ne nie consultait en rien sur ses desseins, comme sur ses expéditions lointaines. »

Autant François-Philippe de Custine montrait de sang-froid et de modération dans sa défense, autant Dumas montrait une partialité révoltante. Il finit par oser déclarer aux jurés qu’il lui paraissait impossible et contraire à la nature des choses qu’un fils, habituellement en correspondance avec son père, ne fût pas son complice.

  1. Voir les pièces des Archives nationales citées par M. Sorel dans la Revue historique de 1876.