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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 85.djvu/932

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Elle aurait, nous l’avons dit, l’inconvénient de fortifier la triple alliance, dont le but ou le prétexte est précisément de contre-balancer une combinaison franco-russe.

D’autre part, la situation internationale de la France et de la Russie n’est nullement la même. Les périls diplomatiques, tout comme les périls militaires, seraient surtout pour la France. Entre les deux pays, il est manifeste que les bonnes chances et les mauvaises seraient inégalement partagées. La seule perspective d’une alliance française est une force pour la Russie ; c’est un épouvantail dont sa politique peut se servir sans prendre d’engagemens. Pour s’en assurer le bénéfice, elle n’a pas besoin de se lier les mains. La politique russe est en effet autrement libre que celle de la France. On se dit à Pétersbourg que le jour où il plairait au tsar d’entrer en guerre avec l’Allemagne, les chassepots, ou les Lebel, partiraient tout seuls. On se flatte qu’en annexant Metz et Strasbourg, Bismarck et Moltke ont fait de l’armée française une aile de l’armée russe.

Or la réciproque n’est pas vraie, et c’est ce qui fait l’infériorité de la France. Pour employer une métaphore bismarckienne : il serait présomptueux aux Français de dire que la Russie est une carte dans le jeu de la France ; il l’est beaucoup moins aux Russes de regarder la France comme une carte dans leur jeu, et une carte qu’ils peuvent jouer à volonté. À quoi bon alors prendre des engagemens ?

À l’inverse de la France, la Russie resterait jusqu’au dernier moment maîtresse de se retourner. Elle garde des combinaisons et des alliances de rechange. Tant qu’une guerre ne les a pas mis aux prises, il n’y a rien d’irréparable entre Pétersbourg et Berlin. Les polémiques de presse ne lient pas plus le tsar russe que le chancelier germanique. Pour couper court à la campagne antiallemande des feuilles moscovites, il suffit d’un avis officieux de la censure. Une visite, une lettre de l’empereur Alexandre III à son vieil oncle, une rencontre de M. de Giers avec M. de Bismarck, c’en est assez pour rapprocher les deux gouvernemens. Rien ne défend à la Russie de revenir à l’Allemagne ou à l’alliance des trois empires, le jour où sa politique aura tiré du spectre de l’alliance française tout ce qu’elle en attendait. Pour cela, il lui suffirait peut-être d’une satisfaction d’amour-propre en Bulgarie. Le tsar est toujours sûr d’être bien accueilli de ses collègues de la Sprée et du Danube. On voit qu’entre la Russie et la France, il n’y a pas de parité. Tandis que l’une garde sa liberté, il ne faudrait pas que l’autre aliénât la sienne. Pendant que la Russie a diverses voies devant elle, se réservant de suivre celle qui lui convient, il ne serait pas bon que la France, se fermant toute issue, s’engageât en aveugle dans une impasse où elle peut se trouver isolée.

Bien plus, alors même que la Russie se lierait par un traité formel,