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Il est vrai, M. de Bismarck a toujours un choix d’heureux euphémismes pour expliquer ses actions et couvrir sa stratégie. Tout ce qu’il fait, arméniens et alliances, il ne le fait que dans un intérêt de défense ! Il ne veut que se mettre en garde contre la coalition qu’il redoute, qui n’existe pas encore, il le croit, qui pourrait cependant se former d’un instant à l’autre entre la Russie et la France ! Que veut-on dire avec cette prétendue coalition ? Où l’a-t-on vue paraître depuis qu’on en parle ? La France, assurément, n’a et ne veut avoir que de bonnes relations avec la Russie ; elle sait ce que vaut la puissance russe. Elle n’a certainement jamais songé jusqu’ici à nouer des liens plus intimes, à transformer des relations régulières, correctes en alliance de guerre, en coalition. Elle n’ignore pas tout ce que des combinaisons de ce genre ont de délicat, de difficile et souvent de périlleux entre deux états qui ont des traditions et des intérêts si différens. La Russie, à son tour, n’a visiblement que des dispositions sympathiques pour notre pays. Elle sait bien que la France est un des ressorts de l’organisation européenne, que la puissance française est une garantie sur le continent. Elle le sait, — elle n’a jamais proposé pour sa part, que nous sachions, de donner aux sentimens de bienveillance mutuelle qui peuvent exister, aux rapports des deux états, le caractère d’une alliance particulière. Les deux nations, les deux gouvernemens ont pu se rencontrer, même s’entendre quelquefois depuis quelques années ; ils ne restent pas moins libres dans leurs rapports, et même peu disposés, ce semble, à aliéner leur liberté. Qu’il y ait des circonstances où il y aurait presque forcément une certaine simultanéité d’action ou d’efforts ressemblant à une alliance, cela se peut sans nul doute ; mais, franchement, si cela devait arriver, c’est M. de Bismarck qui aurait manifestement tout fait, qui aurait préparé ce partage du continent en deux camps ennemis. C’est lui et lui seul qui aura rendu possible, nécessaire, non pas ce qu’il appelle une coalition, mais un accord de circonstance né spontanément de l’état contraint et violent du monde. En réalité, tout est là ! Le chancelier aura beau s’en défendre, invoquer les prétendues coalitions des autres pour couvrir ses propres combinaisons : c’est lui qui aura créé cette situation redoutable pour lui-même, compromettante pour ses alliés, où tout reste livré à la force, et le discours qu’il vient de prononcer, avec ses airs d’impartialité superbe, déguise à peine ce grand trouble qui est son ouvrage.

Cependant, au moment même où s’agitent ces graves problèmes de la paix ou de la guerre, d’autres intérêts plus modestes peut-être, qui ont bien aussi quelque rapport avec la question des alliances politiques, ne laissent pas d’avoir leur importance et sont même l’objet de vives discussions. On vient de le voir à l’instant même par les violens débats qui se sont produits dans le parlement de Vienne à propos de la pro-