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problèmes fondamentaux de l’existence, de se faire une réponse quelconque à cette question : que vaut la vie? Raisonnées ou aveugles, ce sont les solutions qu’on adopte sur ce point qui donnent à la vie sa direction suprême. S’abstenir, ici, c’est encore prendre parti pour un système plus ou moins négatif. Il importe donc de déterminer la véritable relation de la métaphysique avec la science et avec la poésie, par cela même son exacte valeur, son originalité propre, les droits qu’elle peut avoir à une éternelle durée.

Deux questions principales s’imposeront successivement à notre attention. En premier lieu, la métaphysique n’est-elle vraiment qu’une « poésie de l’idéal, » un rêve qui n’a pas besoin d’être vrai, pourvu qu’il soit beau, agréable, consolateur; n’est-elle tout au plus qu’une « science idéale, » selon l’expression de M. Berthelot, c’est-à-dire construite avec de pures idées? La métaphysique n’est-elle point, au contraire, l’étude méthodique des diverses représentations que nous pouvons nous faire de la réalité universelle, et la critique rigoureuse des certitudes, des incertitudes, des probabilités que ces représentations peuvent offrir? En second lieu, jusqu’à quel point la métaphysique peut-elle espérer réussir dans son interprétation de la réalité universelle, soit par l’expérience, soit par la spéculation, désormais conçue comme le prolongement logique de l’expérience? M. Renan a dit à cette même place, dans un sens analogue à la pensée de Lange: — « Ne nions pas qu’il n’y ait des sciences de l’éternel, mais mettons-les bien nettement hors de toute réalité. » Sans contester la part inévitable de l’idéal et de l’art dans les dernières spéculations de la métaphysique, sans interdire au philosophe de mêler à ses considérations un peu de cette poésie que le sujet comporte, nous essaierons, malgré la difficulté de la tâche, de faire voir que la métaphysique future aura pour caractère de chercher sa base dans la totalité de l’expérience intérieure et extérieure, afin de s’appuyer ainsi sur la vraie et complète réalité. S’efforcer, par induction, de reconstruire l’univers dans ses traits essentiels, en prenant pour règle que cette reconstruction soit d’accord tout ensemble avec les résultats les plus généraux des sciences objectives et avec les données les plus primordiales de la conscience, ce n’est pas construire des « palais d’idées » dans la région mouvante des nuages.


I.

Comment naît le problème métaphysique? Est-il artificiel ou essentiel à la pensée, et conséquemment éternel? Les positivistes s’en font une idée fausse ; c’est pour cela qu’ils condamnent la métaphysique