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place, au-dessous de l’hypothèse de plus en plus dominante, à bien des opinions de détail, à bien des conjectures, à des croyances individuelles et même à des rêves, optimistes ou pessimistes. C’est là le domaine de la « fiction » poétique que Lange et M. Renan ont confondu avec la vraie métaphysique ; et c’est aussi le domaine des « symboles religieux, » qui pourront durer bien plus longtemps que ne semble le croire l’auteur de l’Irréligion de l’avenir.


V.

Nous sommes ainsi amené à chercher les vrais rapports de la métaphysique avec l’art. Entre la totalité de l’expérience actuelle, résumée par la science, et la totalité de l’expérience possible, induite par la métaphysique, il y aura toujours une distance qui, pour être franchie, exige les procédés de l’art en même temps que ceux de la science. C’est là le côté vrai des théories de Lange, de M. Renan, de ceux qui attribuent à la poésie un rôle dans la métaphysique. Il est faux de dire avec eux que la métaphysique se réduise tout entière à l’art ; il est vrai de dire qu’à son sommet, dans ses dernières conjectures, elle laisse une place à l’art. Seulement, ce n’est plus de l’art pour l’art, c’est de l’art pour la vérité.

Même dans les sciences de la nature, le rôle de l’invention artistique va croissant à mesure que la part de l’observation positive diminue. Il y a dans la science, dit Tyndall, des torys qui considèrent l’imagination comme une faculté à bannir ; autant condamner les machines à vapeur parce qu’il y a des chaudières qui éclatent. Guidée par la raison, « l’imagination est le plus puissant instrument des découvertes scientifiques. Sans elle, notre connaissance de la nature se bornerait à des tables de coexistence et de succession, nous ne connaîtrions nulle part de lois. » Ainsi Tyndall ne craint pas de proclamer l’imagination législative de la science ; et, en effet, une loi est un rapport, un rapport est une synthèse, une synthèse est une construction de la pensée, une construction est une création, ποιήσις, une poésie au sens grec du mot. Savoir, c’est faire, disait Aristote ; pour connaître les choses, il faut les refaire dans sa pensée. S’il en est ainsi, c’est dans la métaphysique que l’invention doit atteindra son plus haut degré. La partie constructive et synthétique de la philosophie renferme nécessairement la principale part d’art et de poésie, puisqu’elle doit s’achever dans l’unité, et que l’unité finale du tout, ne pouvant être saisie ni démontrée, devient pour le penseur analogue à celle qu’on met soi-même dans une œuvre d’art. Le métaphysicien, s’il veut se faire une représentation du tout, est donc obligé, après avoir eu d’abord la rigueur et la conscience du