car celui-ci passait pour avoir de l’argent et des bijoux en quantité, outre le mobilier de son palais, qui était très bien ordonné. Tout compte fait, le pape touchera 10,000 ducats, outre le prix des bénéfices. » Giustinian ne put conférer le lendemain avec le pontife sur la vacance du patriarcat de Constantinople. « Notre Seigneur s’est excusé sur la peine qu’il ressentait de la mort du cardinal ; la peine était de compter l’argent et de manier les joyaux. » Mais cette affaire fut excellente et finit par monter à plus de 100,000 ducats. On dit tout haut que Monreale « a été expédié par le chemin qu’ont pris tous les autres, après qu’ils ont été bien engraissés ; on accuse particulièrement le duc. »
Le sacré-collège vivait dans l’épouvante. Les cardinaux qui avaient eu, dit Giustinian, quelque mauvaise pensée secrète contre le pontife, songeaient à la fuite. Le cardinal de Médicis, ayant reçu un jour une caresse inaccoutumée d’Alexandre, se crut perdu, lui et son frère Pierre. En janvier 1503, l’arrestation de l’évêque de Cesena et du protonotaire Andréa de Spiritibus fit passer la terreur dans les rangs des prélats. Ceux-là étaient riches ; leurs maisons furent vidées par les sbires pontificaux. « Toute la cour tremble, et surtout les prélats qui ont de l’argent, et les gentilshommes romains; les uns ont fui, les autres se cachent, personne ne se croit plus en sûreté. Chacun compte les péchés qu’il a commis et s’inquiète des fautes commises par ses parens. » Cinq mois plus tard, l’ambassadeur vénitien renouvelle le même avis, à propos de Jacomo Santa-Croce, qui, après avoir payé 10,000 ducats pour avoir la vie sauve, fut pendu le lendemain; ses biens furent confisqués, sa femme et son enfant proscrits. « Tous les Romains qui passent pour riches, tous ceux qui ont la faveur populaire ou appartiennent à un parti politique, sont dans une peur extrême et se croient à chaque minute le bourreau sur les épaules. » On avait maudit la Rome désordonnée d’Innocent VIII, terrifiée par les brigands ; on retrouvait la Rome de Catilina et des triumvirs. Ces derniers temps du pontificat furent véritablement affreux. La recherche des suspects pénétrait jusque dans la plus humble population romaine. Un mot étourdi, surpris dans un carrefour, dans un coin de taverne, par les espions du Valentinois, était un arrêt de mort. Un masque qui avait trop d’esprit eut la main et la langue coupées; la langue, clouée sur la main, fut exposée pour l’édification des âmes sensibles. Rome prenait un aspect funèbre. Le carnaval de 1503 se présenta d’une façon si lugubre que le pape convoqua sa noblesse au Vatican et l’engagea à se divertir, sans aucune préoccupation, « à faire la fête, pour tenir la ville en joie. » Mais lui-même commençait à avoir peur de son ombre ; il triplait la garnison du palais, du