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M. le préfet de la Seine à l’Hôtel de Ville. Il n’aurait rencontré sûrement aucune résistance sérieuse ; il avait pour lui la loi, la faveur de l’opinion, il aurait eu dans ces premiers momens l’appui des chambres. Si le ministère a eu de bonnes résolutions, il ne les a pas eues longtemps. Il n’a pas tardé à regarder autour de lui, et il a fait comme les autres, il a craint les radicaux ; il a ajourné, il a hésité sur son droit, au point de se croire obligé à présenter une loi nouvelle, comme s’il voulait se donner un courage qu’il n’avait plus. Bref, il a laissé échapper l’occasion, et on en est encore aujourd’hui à savoir si l’état doit définitivement s’incliner devant le conseil municipal de Paris. Ce qui était tout simple au début serait peut-être aujourd’hui plus compliqué, — à moins que le conseil municipal, qui vient de se réunir, ne rende impossible une plus longue tolérance.

Le ministère aurait pu certainement aussi, avec un peu plus de netteté, prévenir bien des difficultés et des ennuis à propos du budget. Il n’avait qu’à aller droit au but, à proposer franchement à la chambre de voter sans plus de retard la loi des finances la plus simple, avec le moins de changemens possible, en réservant pour le prochain budget toutes les questions de réformes, de remaniemens d’impôts, de réorganisation qui passionnent ou amusent les hôtes du Palais-Bourbon. Et là aussi il a hésité, il a craint visiblement de se faire des querelles avec la toute-puissante commission du budget, qui veut tout réformer. Il s’est laissé entraîner dans cette discussion sans fin, dans cette voie scabreuse, semée de surprises et de pièges, où il a rencontré à chaque pas des demi-échecs, des échecs tout entiers, jusqu’au jour où il s’est trouvé en face d’une question sur laquelle il s’est décidé à jouer son existence. C’est ce qu’on peut appeler la crise des fonds secrets. La commission du budget, dans son ardeur réformatrice, proposait ni plus ni moins de réduire de plus de moitié le crédit des fonds secrets, au risque de ne plus laisser au gouvernement des moyens suffisans pour la protection de la sûreté publique. Cette fois, M. Tirard, irrité des coups d’aiguillon et des menaces qu’on ne lui ménage pas, s’est révolté. Il a déclaré fièrement qu’il ne voulait pas « se résigner à la position d’un gouvernement de passage, transitoire, et auquel on mesure son existence jour à jour. » Et il a réclamé résolument un vote de confiance. Il l’a obtenu, d’autant plus que les uns n’ont pas voulu prendre la responsabilité d’une crise ministérielle, et les autres n’étaient nullement pressés de prendre le pouvoir en pleine discussion du budget; mais si le ministère n’est pas tombé, il est bien clair qu’il est resté affaibli par ses irrésolutions dans les affaires les plus sérieuses, médiocrement réconforté par la faible majorité qu’il a obtenue, si bien qu’on a continué à voir en lui le ministère « transitoire » qu’il ne veut pas être, — En attendant le « gouvernement fort » sur lequel les républicains comptent toujours.