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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/237

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premier objet serait de faire déclarer illégale et usurpatrice la souveraineté du prince Ferdinand de Cobourg à Sofia. M. de Bismarck, comme Il l’avait promis, s’est hâté d’appuyer la communication russe à Constantinople, et la France elle-même paraît s’être jointe à la Russie et à l’Allemagne dans une démarche représentée comme « le meilleur et le plus sûr moyen de garantir la paix générale. »

Jusque-là, rien de plus simple, à ce qu’il semble ; mais les autres puissances qui ont signé le traité de Berlin, l’Autriche, l’Angleterre, l’Italie, sont-elles disposées à seconder cette « tentative nouvelle? » Et si elles restent silencieuses ou hostiles à Constantinople, le sultan, à qui on a pris ses provinces des Balkans, se croira-t-il obligé d’intervenir, ne fût-ce que par une déclaration platonique de déchéance prononcée contre le prince Ferdinand? Et si certaines puissances s’abstiennent, parce qu’au fond elles sont favorables à un ordre de choses indépendant de l’influence russe, si le sultan, à son tour, s’abstient, faute d’être appuyé ou pressé par l’unanimité des cabinets, qu’en résultera-t-il? On risque de n’être pas plus avancé, de se retrouver en face du même aveu d’impuissance ou des mêmes périls d’une action coercitive isolée. Lord Salisbury prétendait, il y a quelques jours, qu’il avait assez de confiance dans les sentimens pacifiques et dans la parole du tsar pour être persuadé que la Russie ne fera aucune tentative « illégale » dans les Balkans. La confiance est probablement justifiée; mais, en définitive, il faut bien l’avouer, c’est la Russie qui est ici dans la légalité et dans le droit, en réclamant au nom de l’inviolabilité des traités; ce sont les autres puissances, l’Autriche, l’Angleterre, qui cherchent à prolonger, par leur inertie ou par leur tolérance, une « illégalité » à laquelle elles se croient intéressées. On ne cesse de répéter, on répétait hier encore à Londres, que ce serait une honte pour l’Europe si on se laissait entraîner à la guerre, si des torrens de sang allaient couler pour la médiocre question bulgare, et rien n’est plus vrai assurément; mais, après tout, ce n’est qu’en y mettant un peu de bonne volonté et d’esprit de conciliation, en se prêtant aux transactions possibles, qu’on peut ramener une telle affaire aux proportions d’un simple incident local, et on n’en est peut-être pas encore là, ou du moins ce sera laborieux.

La vérité est que, aujourd’hui comme hier, cette question bulgare est toujours l’allumette qui peut mettre le feu partout, et qu’elle ne laisse pas d’avoir son importance dans les rapports généraux des gouvernemens, dans tout ce mouvement d’alliances qui est une autre partie des affaires de l’Europe. où en sont-elles définitivement, toutes ces alliances défensives, pacifiques, protectrices du repos du monde? M. de Bismarck a mis, certes, un opiniâtre génie à les préparer, à les étendre, — Et un instant c’est tout au plus si la triple alliance n’allait pas être l’alliance universelle, tant on y comprenait de nations et de gouvernemens ! Un jour c’était la Roumanie