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tourmentées, si sa bonne fortune veut qu’elle retrouve le repos et la sécurité, bien des jours se passeront encore sans doute. Notre vieux continent, de l’occident à l’orient, a été soumis depuis quelques années, depuis quelques mois surtout, à de si sérieuses épreuves; il y a eu tant de contusions et d’irritations accumulées dans les rapports des peuples, tant de complications avouées ou inavouées, tant de démonstrations, d’alertes et d’incidens faits pour créer une tension universelle, qu’on n’en reviendra pas aisément ni de sitôt, c’est vraisemblable. Seulement, et c’est déjà beaucoup, on pourrait peut-être dire que rien ne s’est aggravé dans ces dernières semaines, qu’il y a eu plutôt une sorte de trêve dont on profite pour se demander à quoi tient cette crise profonde qui remue l’Europe, ce que valent ces alliances qui prétendent être les protectrices de la paix et qui ne sont que des armes de guerre, comment on peut sortir de cette mauvaise aventure des Balkans, autour de laquelle s’agitent toutes les diplomaties.

Par le fait, il y a aujourd’hui deux élémens dans les affaires de l’Europe. Il y a cette question bulgare, qui ne serait rien par elle-même, qui n’a grandi qu’à la faveur des divisions de l’Europe, parce qu’elle met en jeu tous les antagonismes, parce qu’elle a fini par ressembler à une sorte de provocation irritante pour l’orgueil d’un grand empire. Ce que deviendra cette question bulgare, on ne le sait pas encore. Il est certain qu’elle vient de prendre une face nouvelle, et M. de Bismarck, par son dernier discours, n’a pas peu contribué à la faire entrer dans cette phase inattendue, à provoquer une négociation qui s’ouvre à peine aujourd’hui. Le chancelier, sans s’inquiéter de ce qu’en penseraient ses alliés, uniquement préoccupé de désarmer le tsar, n’a point hésite à déclarer qu’un avait été d’accord au congrès de Berlin pour « reconnaître à la Russie une influence prépondérante en Bulgarie, » qu’un ne pouvait nier que, dans tout ce qui est arrivé par la faute des uns ou des autres depuis trois ans, « les droits reconnus à la Russie par le traité de Berlin n’aient été lésés. » Il a dit tout cela dans un langage calculé, avec un mélange de bonhomie et de brusquerie, sans encourager la Russie à revendiquer ses droits par « les moyens violons, » en lui promettant néanmoins d’appuyer tout ce qu’elle pourrait tenter par la diplomatie. Le cabinet de Saint-Pétersbourg a évidemment entendu comme tout le monde le discours assez retentissant de M. de Bismarck, et sortant de la réserve qu’il s’était imposée depuis quelque temps, il s’est décidé à u faire une tentative nouvelle pour provoquer de la part des puissances une explication sur l’inviolabilité des stipulations en ce qui concerne la Bulgarie. » Il a commencé par faire publier dans un journal officiel, le Messager du gouvernement, une sorte de manifeste où, en reprenant l’éternelle question bulgare, il la précise avec une habile modération, — Et en même temps il prenait, auprès de la puissance suzeraine, de la Porte, l’initiative d’une démarche dont le