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et défend ses intérêts. Quel est l’intérêt français? C’est toute la question. — Oui, sans doute, c’est toute la question. La difficulté ne reste pas moins entière. Si, au dernier moment, la négociation n’est pas renouée, les tarifs de défense vont être mis en vigueur sur la frontière, les industries des deux pays souffriront inévitablement; la lutte ne fera que s’aigrir, et s’il y a une chose qui n’est point douteuse, c’est que les gouvernans italiens auront seuls pris l’initiative de ce dangereux conflit d’intérêts au détriment des deux nations.

Que d’autres cherchent un rôle dans les agitations et les coalitions de l’Europe, l’Espagne, pour sa part, n’a point à s’en mêler. Elle a, heureusement pour elle, assez de bon sens pour comprendre qu’elle n’a point à entrer dans les combinaisons secrètes pour sauvegarder des intérêts qui ne sont point en danger, que ses voisins, dans tous les cas, seraient les derniers à menacer. Ses vraies affaires, ses vrais intérêts, à elle, sont à l’intérieur, et ces affaires intérieures de l’Espagne ne laissent pas d’avoir leurs obscurités, leurs complications qui naissent de l’état des partis, de la situation économique du pays, ou même quelquefois des incident personnels grossis par les passions intéressées.

La discussion de l’adresse qui a occupé le parlement de Madrid depuis qu’il est réuni, et qui vient à peine de finir, n’a tait que dévoiler une fois de plus les difficultés de la position du président du conseil, M. Sagasta, placé en équilibre entre les partis, libéral avec les libéraux, conservateur avec les conservateurs. Cette discussion, qui s’est terminée en définitive par le succès du scrutin pour le ministère, a certainement trop duré pour ne point être passablement diffuse et décousue; elle a eu aussi, il est vrai, ses momens brillans, et si elle a été trop longue, elle a fini par une de ces luttes d’éloquence qui sont l’honneur d’un parlement, par un duel plein d’éclat entre les deux premiers orateurs de l’Espagne, M. Castelar et M. Canovas del Castillo. Avec eux, la discussion s’est élevée et élargie; elle s’est étendue à tous les intérêts extérieurs et intérieurs du pays. M. Castelar a été ce qu’il est toujours, un magicien de la parole, entraînant, libéral, généreux. Il n’a pas craint de signaler le danger de la politique de conquête en Europe, et s’il n’a pas complètement réussi à démontrer au chancelier de Berlin la nécessité de la restitution de l’Alsace pour rendre la paix à l’Europe, c’est que l’éloquence ne suffit peut-être pas; il a, dans tous les cas, mis sa chaleureuse générosité à avouer ses sympathies pour notre pays, en conseillant au gouvernement de l’Espagne la neutralité dans les affaires du continent, l’entente avec la France dans les affaires du Maroc. M. Castelar est assurément le plus modéré, le plus conservateur des républicains, et il ne s’en défend pas. En restant, dans ses idées sur la politique intérieure, fidèle à la république, en réservant, si l’on veut, l’avenir, il n’est point irréconciliable