Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/331

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ans, elle nous coûterait près d’un milliard et nous n’aurions fondé rien de solide ; il faut entrer dans une autre voie. » Ce qui choquait le gouverneur, c’était la bonhomie de l’autorité française, qui se laissait abuser, duper et voler par les grands chefs arabes. Les grains, par exemple, lui étaient vendus à des prix trois ou quatre fois plus élevés qu’ils n’étaient en 1836 ; il en était de même pour les transports, dont les tarifs étaient exorbitans.

Le général Bugeaud imputait ces abus à l’administration trop douce du général Galbois, le plus digne et le plus honorable des hommes, mais qui avait fait de la mansuétude à l’égard des indigènes le principe et la base du système contre lequel protestait la rude équité du gouverneur. Le résultat fut que le général Galbois, qui avait eu pour prédécesseur, en 1838, le général de Négrier, l’eut, en 1841, pour successeur. Le nouveau commandant supérieur était connu pour sa sévérité parfois excessive; le souvenir en était resté dans la province, et l’annonce de son retour n’y fut reçue qu’avec tremblement.

La première action de guerre du général de Négrier fut dirigée contre la petite ville de Msila, située à l’extrémité occidentale de la province, à 28 lieues au sud-ouest de Sétif, dans ce prolongement des Hauts-Plateaux qu’on appelle Hodna. Hadj-Moustafa, le propre frère d’Abd-el-Kader, s’y était établi depuis trois ans, et de là il exerçait une influence qui s’étendait au nord jusque dans la Medjana, au grand détriment de l’autorité française et du khalifa Mokrani, son représentant attitré. Parti de Constantine avec 1,700 hommes, le 29 mai, le général de Négrier prit en passant à Sétif toutes les troupes disponibles du général Guesviller, et parut, le 11 juin, devant Msila, où il entra sans coup férir. Hadj-Moustafa s’était retiré avec ses principaux adhérons dans le sud, à Bou-Sâda. Après avoir rétabli l’autorité de Mokrani dans ces parages, le général reprit, par Bordj-Medjana, Sétif et la plaine des Abd-en-Nour, le chemin de Constantine, où il rentra le 26 juin.

Dans le même temps, et pour ajouter dans une certaine mesure au succès de l’opération, Ben-Ganah, le cheikh-el-Arab, avait reçu du commandant supérieur l’ordre d’aller déloger de l’oasis de Biskra Farhat-ben-Saïd, son ancien compétiteur, qui, malgré d’anciens griefs contre Abd-el-Kader, était passé au service de l’émir. Il en fut de Biskra comme de Msila : l’ennemi s’étant dérobé, l’occupation se fit le plus aisément du monde; mais les suites furent bien différentes. Ben-Ganah, qui avait été reçu d’abord avec empressement, ne tarda pas à se faire exécrer de la population par sa rapacité. Non content de frapper sur l’oasis une contribution de 40,000 francs à son profit personnel, il voulut faire contribuer aussi