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croire aux ouvriers qu’on les néglige. On se proposerait moins, dans ce cas, de faire que de paraître faire quelque chose. Or il ne faut pas donner des lois à ceux qui les demandent dans la seule vue de leur être agréable, le métier du législateur n’étant pas œuvre de complaisance ou de courtoisie. Avant de légiférer, il faut voir si l’intérêt de la république commande de légiférer. C’est pourquoi, de ces deux raisons que j’énonçais tout à l’heure, la seconde mérite seule qu’on l’expose et qu’on l’examine.

Les rédacteurs du code civil et de toute notre législation civile auraient donc, d’après un certain nombre de publicistes, failli complètement à leur tâche. Le chapitre du « louage d’ouvrage et d’industrie » se subdivise, dans le code français, en trois sections, dont la première, intitulée « du louage des domestiques et ouvriers, » contient seulement deux articles. L’un de ces deux articles, qui obligeait le juge à croire le maître sur sa simple affirmation pour la quotité des gages et pour le paiement du salaire de l’année échue, a été abrogé en 1868. L’autre, toujours en vigueur, se borne à dire qu’on ne peut engager ses services qu’à temps ou pour une entreprise déterminée : l’une de ces deux injonctions est obscure et l’autre est une pure banalité, car il était vraiment superflu de rappeler, dans une œuvre législative issue de la révolution française, l’abolition de l’esclavage et du servage. Voilà tout ce qu’a fait pour les ouvriers le gouvernement du premier consul, car il serait presque dérisoire de citer l’article 14 de la loi du 22 germinal an XI, qui recommande aux ouvriers et aux patrons d’exécuter leurs contrats de bonne foi, et l’on reproche aux gouvernemens qui ont suivi de s’être complu dans l’inaction. Remarquons en passant que les promoteurs de la réforme font assez bon marché de lois très nombreuses et très importantes, qui ont été promulguées, sous tous les régimes, dans l’intérêt des ouvriers. Tels sont les lois de germinal an XI sur les manufactures, fabriques et ateliers de 1851 sur le contrat d’apprentissage et sur les avances aux ouvriers, de 1854 sur les livrets, de 1864 sur les coalitions, la loi de 1874 et un grand nombre de décrets sur le travail des enfans mineurs, etc. C’est là, paraît-il, du droit purement industriel, et l’on ne rencontrerait, en général, dans cette partie de notre législation, « aucune disposition se rattachant au droit civil. »

On reconnaît pourtant que les rédacteurs du code civil étaient des gens instruits, avisés, pratiques, et que ce code, en général, protège la liberté individuelle, organise la famille, sanctionne la propriété, garantit le respect des contrats. Comment expliquer que ces législateurs, lorsqu’il s’est agi de régler le louage de services, aient ainsi méconnu leurs propres traditions? Ils avaient amplement traité