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de la vente, de l’échange, du louage ordinaire ; ils allaient amplement traiter de la société, du prêt, du dépôt, du mandat, etc. Arrivant à ce point précis, ils ont à peu près perdu la parole! « Il ne faut pas s’en étonner, dit à ce propos M. Glasson. Tel qu’il existe aujourd’hui, l’ouvrier, travailleur libre et indépendant, est un homme tout nouveau dans notre société. » Jadis enveloppé, comme le patron, dans le réseau des corporations et soumis, pour presque tous les actes de sa vie industrielle et civile, à leurs règlemens minutieux, il venait enfin d’échapper au régime des maîtrises et des jurandes qui l’astreignait à des stages interminables, l’emprisonnait dans un métier spécial et lui imposait de vive force certains procédés de fabrication ; il était émancipé ! Mais quelles seraient les conséquences de cette révolution économique? Quels deviendraient les rapports de ces nouveaux patrons et de ces nouveaux ouvriers? On ne s’en doutait pas encore. Réduit à prévoir, le législateur aurait tâtonné dans le vide : il n’avait qu’à se taire, et se tut, en effet. Aujourd’hui, le régime de liberté qu’inaugura la révolution française a fait ses preuves et porté ses fruits ; tout le monde sait à quoi s’en tenir. Si le code civil était à faire ou à refaire, le législateur moderne réglerait assurément le louage de services comme l’ancien a réglé le louage des choses. Le nouveau code civil italien n’a pas, il est vrai, procédé de la sorte et ne s’est pas montré plus prolixe que le code français de 1804; mais c’est une inconséquence qui ne prouve rien. D’ailleurs, on ferait beaucoup, parce qu’il y a beaucoup à faire. Comprend-on que notre code ne nous renseigne pas sur la nature de ce contrat spécial? A le lire, nul ne sait au juste en quoi le louage de services diffère du mandat. On ne sait pas non plus comment se dissout ce contrat. Chacune des parties peut-elle le rompre à sa guise? Celle qui le rompt arbitrairement doit-elle indemniser l’autre? Jusqu’à quel point le juge peut-il apprécier les causes et déterminer les effets de la résiliation? C’est au législateur de prononcer.

Nous ne demandons à la France, poursuit-on, que d’imiter un certain nombre de nations étrangères. Elle aurait pu, comme dans d’autres circonstances, donner l’exemple ; elle n’a rien de mieux à faire que de le suivre. Sans parler des peuples qui ont réglé par des lois spéciales la responsabilité des patrons en cas d’accident, comme l’Allemagne (7 juin 1871), l’Angleterre (7 septembre 1880), la Suisse (25 juin 1881), plusieurs gouvernemens ont senti, de nos jours, la nécessité de promulguer un code du travail. Ainsi la Norvège, ayant rompu définitivement avec le régime des corporations, s’est donné, le 15 juin 1881, une loi de cette espèce qui traite des apprentis dans un premier chapitre, « des ouvriers et compagnons »