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empêché les assureurs et les assurés de voir clair et de marcher sans béquilles? On se désole de ne pas savoir au juste, à la lecture du code civil, en quoi le louage de services diffère du mandat. Mais on demande précisément au législateur une leçon de droit qu’il ne doit pas donner : c’est seulement à l’école qu’où dresse ces tableaux comparés des différens contrats, en faisant ressortir leurs points de contact et leurs dissemblances. Cujas avait fait depuis longtemps ce que n’a pas voulu faire le conseil d’état en 1804, et de nombreux disciples ont, depuis quatre-vingts ans, suivi son exemple. Il est vrai que ces disciples ne s’accordent pas entre eux. Mais a-t-on la prétention d’accorder les jurisconsultes? et ne sait-on pas que, si le code avait parlé, de nouveaux débats se seraient élevés sur le texte du code? On s’entendrait peut-être moins encore.

M. Larombière me faisait un jour remarquer que les rédacteurs du code français avaient eu, non-seulement pour ne pas définir, mais pour ne pas réglementer le louage de services, une très bonne raison : c’est qu’il n’en est pas de ce contrat comme du bail à ferme ou à loyer. Il se présente sous les faces les plus diverses et déjoue, par la variété même de ses combinaisons, les prévisions du législateur. La loi hongroise de 1884 a dû traiter, dans deux sections distinctes, des ouvriers en général et des ouvriers de fabrique. Mais ce cadre même est trop étroit, et le nombre des subdivisions est presque indéfini. Est-ce que les mêmes règles peuvent s’appliquer aux ouvriers de l’agriculture et aux ouvriers de l’industrie? aux « travailleurs manuels » et aux employés? aux ouvriers quelconques et aux artistes ou aux acteurs? aux rédacteurs de journaux et aux domestiques? Qu’on veuille bien consulter la loi hambourgeoise du 5 janvier 1881 et le projet de loi brésilien du 7 juillet 1883 : on comprendra facilement que les rapports de maîtres à domestiques différent des rapports entre ouvriers et patrons, c’est-à-dire qu’on risquerait de tout embrouiller en voulant tout uniformiser :


Verum, ubi correptum manibus vinclisque tenebis,
Tum variæ illudent species..
Omnia transformat sese in miracula rerum.
………………….


Rien ne ressemble moins à tel louage de services qu’un autre louage, et c’-est pourquoi les sages rédacteurs du code civil ont laissé beaucoup à l’initiative individuelle.

Cette objection des jurisconsultes n’arrête, à vrai dire, que certains jurisconsultes et n’embarrasse pas les hommes d’état. Ceux-ci se soucient peu que le code renferma une analyse exacte du contrat