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de 1884, tout en énonçant avec une certaine pompe que « les rapports entre le patron et ses ouvriers sont réglés par un libre accord, » plie encore la liberté des conventions à ses vues personnelles, ne fût-ce qu’en imposant le livret avec un luxe inouï de dispositions restrictives, en limitant la durée du travail des adultes, en déterminant d’avance à quelles heures et pendant combien de temps un repos doit leur être accordé, etc. La proposition de loi soumise à notre chambre des députés en février 1885 est conçue dans le même esprit; on le verra bientôt. Le législateur, craignant de n’être pas écouté, veut se faire obéir : il touche résolument, en vertu de son immuable sagesse, aux. rapports du capital et du travail.

On semble craindre, il est vrai, que, si le législateur n’intervient pas, les ouvriers et les patrons ne sachent plus à quoi s’en tenir sur la nature de leurs rapports juridiques et sur les conséquences de leurs engagemens réciproques. La jurisprudence elle-même ne saurait, paraît-il, mettre un terme à leurs incertitudes, car les tribunaux changent souvent d’avis, et la règle qu’un arrêt a posée peut être détruite par un autre arrêt. On oublie peut-être un peu trop aisément qu’il existe au-dessus de toutes les juridictions françaises une juridiction suprême, appelée à régulariser, surtout notre territoire, l’interprétation des lois. Or la cour de cassation ne s’inflige pas de démentis et, quand elle a fixé la jurisprudence, elle ne défait pas son ouvrage de ses propres mains. Par exemple, on presse le législateur d’organiser lui-même la résiliation du louage de services. Au demeurant, il s’agit avant tout de savoir si l’on accordera des dommages-intérêts en cas de résiliation à celui qui loue ses services pour une durée indéterminée. Eh bien! les textes actuels suffisent. La question fut posée à la cour de cassation le 4 août 1879 : il est aisé, dis-je alors à la cour, puisque le législateur a eu la sagesse de ne pas établir une règle fixe, de résoudre la question conformément aux notions générales de justice et aux principes du droit. Il fut donc jugé que, si le louage de services sans détermination de durée pouvait, en thèse, cesser par la libre volonté des contractans, c’était à la condition qu’on observât les délais commandés par l’usage, ainsi que les autres conditions expresses ou tacites de l’engagement. C’est bien seulement aux résiliations insolites ou vexatoires qu’il faut rattacher l’action en dommages-intérêts» et les ouvriers ne seraient pas mieux protégés par une loi nouvelle. De bons juges appliquant avec discernement le droit commun, quel idéal !

C’est ce que M. Loubet, ministre des travaux publics, a dit en de fort bons termes au sénat, le 20 février 1888. La haute assemblée,