Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/364

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans des établissemens où l’on redoute des émanations corrosives, des dangers d’explosion ou de brûlures, ou à des travaux effectués sur les toits, ou à des travaux de traction trop pénibles, soit sur la voie publique, soit dans l’intérieur des ateliers, les économistes les plus intolérans ne contestent pas la légitimité de ces prohibitions. Cependant, même sur ce terrain, les intérêts privés luttent pied à pied contre la sage intervention de l’état. Les inspecteurs sont obligés d’avouer qu’on ne peut, du jour au lendemain, modifier les usages en vigueur; que dans les verreries, par exemple, le travail des enfans est un rouage des plus utiles ; que, dans les familles nombreuses des centres manufacturiers, le salaire des parens et des aînés serait insuffisant pour couvrir les dépenses du ménage sans l’infime salaire des plus jeunes, et qu’il est indispensable d’appliquer avec certains ménagemens les lois protectrices. On se heurte même, au moins dans certains départemens agricoles, à l’inertie ou à la mauvaise volonté des conseils-généraux. C’est ainsi qu’en Suède le gouvernement avait été lui-même contraint de réagir, en 1883, contre les ordonnances de 1881, limitant le travail des enfans dans les manufactures. Il n’est pas douteux que, si l’on voulait étendre la tutelle de l’état français sur le travail des femmes et des adultes, on se heurterait non pas seulement à des difficultés, mais à des obstacles insurmontables.

Les sages, les hommes de science répondent aussitôt qu’ils ne veulent rien imposer. Ils se figurent qu’un simple conseil, une fois donné par le législateur, deviendrait aussitôt la règle générale, et qu’il faudrait, pour s’en écarter, une certaine insubordination mêlée à beaucoup d’audace. Mais on présume trop de la docilité contemporaine, et c’est peut-être ici que l’esprit d’audace ou d’insubordination se donnera le plus aisément carrière. Telle est du moins l’opinion d’un homme fort distingué, qui croise quelquefois le fer avec les légistes et les déconcerte souvent par son profond dédain de la routine, uni à une intelligence supérieure de toutes les nécessités pratiques. « Comme l’œuvre serait nécessairement imparfaite, écrit M. de Courcy, on y dérogerait le lendemain, et la liberté des conventions, usant de ses droits, mettrait à profit les leçons de l’expérience. » Le législateur, dira-t-on, ne se résignerait pas à cette défaite et saurait bien avoir le dernier mot ! J’en ai peur, et c’est précisément ici que j’attends les novateurs. Il faut bien reconnaître que le règlement russe de 1886 laisse au gouvernement la haute main dans les grèves et sacrifie incessamment la liberté des contractans aux droits souverains de l’état. La loi roumaine du 13 mai 1882 sur les contrats agricoles est un type de réglementation puérile et met des menottes aux laboureurs. Le législateur hongrois