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fourni, une disposition pour le travail prise par l’entrepreneur, celui-ci sera forcé de convaincre le juge qu’aucune mesure de prudence n’a été négligée, que l’événement a défié la prévoyance humaine, que l’ouvrier a commis une faute. L’incertitude sur ces points à mettre en lumière doit aboutir à la condamnation du maître. » Comment? Il suffirait à l’ouvrier, pour imposer la preuve au patron, d’établir une relation entre la machine et l’accident! C’est supposer, encore une fois, que le travail enfante l’accident comme les prémisses d’un syllogisme enfantent sa conséquence ; on retombe dans la même erreur. Le patron a mis aux mains de l’ouvrier une substance explosible, de la poudre à feu, par exemple ; la poudre éclate et blesse l’ouvrier. L’explosion peut être causée, sans doute, par le vice propre de la substance, mais aussi par une imprudence de « l’employé. » Ces imprudences sont très fréquentes. Cependant, quelque effort qu’on ait fait pour assigner l’une ou l’autre cause à l’événement, on est resté dans l’incertitude. Pourquoi le doute profiterait-il à l’ouvrier qui se plaint? Comment astreindre le patron à prouver, ce qui sera presque toujours impossible, que la substance détruite était de bonne qualité? Tout ce système pourrait encore se concevoir et devenir le principe d’une réforme législative si les données de la statistique permettaient d’affirmer que la plupart des accidens survenus dans le maniement des instrumens ou des appareils avec lesquels les ouvriers sont mis en rapport dérivent du vice propre et non de la faute. Mais telles ne sont pas les données de la statistique.

Résumons cette partie technique du débat. Rien, dans l’analyse juridique des rapports qui unissent « l’employeur » à l’employé, ne permet de déroger à ces deux principes élémentaires du droit civil : le demandeur doit justifier sa demande ; la faute ne se présume pas. Pour qu’il en fût autrement, il faudrait qu’un des contractans eût pris à sa charge la garantie des risques. Mais nous touchons à l’absurde. Est-ce que le louage de services implique un contrat d’assurance contre les accidens ? Est-ce que le patron, quand même il n’a rien promis, est un assureur? Est-ce que le prestataire du service est un assuré, quand même il n’a rien stipulé? lui tradition, l’usage, le sens commun, condamneraient également cette prodigieuse interprétation du contrat.

Cependant, non-seulement M. Sainctelette et son école, en scrutant l’intention des parties et en décomposant les élémens du contrat, trouvent dans le louage de services ce que les docteurs et les tribunaux n’y avaient pas découvert avant eux, mais ils entendent imposer à tous les contractans le joug de leur interprétation. Nul n’a le droit de transiger avec le nouveau principe. « Les parties pourraient-elles, en ce qui concerne cette garantie, dit l’ancien ministre