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soit à son valet de chambre, soit à son cocher, soit à ses ouvriers, en leur remettant des gages ou des salaires, même supérieurs à 150 francs, la formalité d’un acte libératoire. Cependant que faire si, le louage de services étant établi (presque jamais, en fait, il ne sera dénié), le domestique ou l’ouvrier prétend faussement n’avoir pas été payé? Le maître sera pris au piège, étant réduit à déférer le serment. C’est un petit malheur, diront peut-être quelques démocrates, et ce n’est pas, à coup sûr, pour les patrons qu’on va corriger la loi. Mais les prestataires de services manuels ne seront pas dans un moindre embarras quand, pour se faire payer plus de 150 francs, ils devront entamer une contestation sur les conditions essentielles du pacte, ou sur le montant de la rémunération promise. Il est donc, à notre avis, conforme à l’intérêt des uns et des autres d’étendre au litige qui sera, dans bien des cas, industriel et quasi commercial, les franchises du droit commercial, c’est-à-dire d’admettre la preuve par témoins et par présomptions; tout au moins, si l’on juge cette réforme trop hardie, d’élever le chiffre au-dessus duquel la preuve de la créance doit être établie par écrit. L’argent s’est avili depuis quatre-vingts ans, et la barrière qu’ont posée les rédacteurs du code civil doit être déplacée, si l’on ne veut dénaturer la pensée même du code. Nous croyons, en outre, que, dans la sphère du pur droit civil, il y aurait lieu d’élargir la place aujourd’hui réservée à la preuve testimoniale et aux présomptions. Sur ce point, en un mot, le droit commun lui-même devrait être changé.

Il y a, chacun le sait, dans toutes les législations civiles de l’Europe, à côté des créanciers ordinaires réduits à toucher un simple dividende dans l’actif de leur débiteur insolvable, des créanciers privilégiés, qui exercent un droit de préférence sur cet actif. Parmi ces derniers figurent, d’après un article du code civil, les moissonneurs, les journaliers, domestiques ou valets employés ou préposés à l’ensemencement des terres ou à la levée des récoltes. Un autre article déclare privilégiés les salaires des gens de service « pour l’année échue et pour ce qui est dû sur l’année courante. » Mais le législateur du premier empire, après avoir ainsi traité les domestiques et les ouvriers employés à certains travaux agricoles, a passé sous silence les ouvriers en général. Est-ce une lacune qu’il faut combler? La question est à l’ordre du jour, et débattue.

M. de Courcy ne s’explique, à proprement parler, que sur le privilège réclamé pour des indemnitaires à la suite d’un accident. Mais il se demande à ce propos s’il est juste de sacrifier aux ouvriers tous les autres créanciers antérieurs en date, et si ces derniers n’ont pas, eux aussi, une femme ou des enfans. Cet argument