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signalée naguère à l’Académie des Sciences morales, qui gagne 1,500 francs par soirée? Faudra-t-il y soustraire toute la classe des « travailleurs, » en prenant cette expression dans le sens étendu que M. Giffen donne aux mots working class? En outre, il est mauvais, dans l’ordre économique comme dans l’ordre moral, qu’un débiteur puisse se moquer légalement de ses créanciers, d’abord parce que cette perspective l’encourage à s’endetter, ensuite parce que les créanciers finissent par prendre leur revanche et qu’il perd lui-même tout crédit. Il ne faut donc pas, à ce second point de vue, abuser de l’insaisissabilité.

Toutefois, plusieurs législations étrangères ont frayé la voie. Par exemple, l’act de 1881 pour la province de Québec exempte de la saisie la moitié des gages des journaliers, et désigne par ce dernier terme tous ceux qui, travaillant à la journée, sont payés par jour, à la semaine ou au mois. Le règlement adopté en 1886 même par le conseil de l’empire russe, outre qu’il défend au patron de déduire les dettes des salaires, sauf dans deux cas exceptionnels, protège contre toute saisie, même ordonnée par justice, le tiers du salaire de l’ouvrier célibataire et le quart du salaire de l’ouvrier marié. Enfin, M. Brugeilles et quelques-uns de ses collègues ont essayé, dans une proposition de loi présentée à la chambre des députés, le 12 décembre 1885, d’adapter une nouvelle formule législative aux vœux et aux besoins des travailleurs français, en rédigeant comme il suit l’article 580 du code de procédure : « Les pensions et traitemens dus par l’état, les appointemens et salaires des employés de tout ordre et de toutes professions ne pourront être saisis-arrêtés qu’à concurrence d’un cinquième, s’ils n’excèdent pas 3,000 francs par an, du quart au-dessus de cette somme, à quelque chiffre qu’ils s’élèvent, et ce jusqu’à l’entier acquittement des créances. » Quoi! tous les fonctionnaires de l’état ! quoi ! les employés de tout ordre et de toutes professions ! Voilà bien des gens mis hors du droit commun et dont le crédit est, par contre-coup, à moitié ruiné, car les prêteurs et les fournisseurs auxquels ils s’adressent se tiendront évidemment sur leurs gardes. Cette formule est beaucoup trop large.

La loi qu’on veut corriger est-elle si défectueuse? Notre code de procédure, en déclarant insaisissables, soit « les provisions alimentaires adjugées par justice, » soit « les sommes et pensions pour alimens, » ne permet-il pas au juge français d’arracher les salaires à la saisie, soit pour le tout, soit en partie, lorsqu’ils peuvent être, à raison des circonstances, regardés comme « alimentaires? » La chambre des requêtes de la cour de cassation avait cru devoir, en 1853, les déclarer indistinctement saisissables, par une interprétation peut-être un peu trop précipitée des textes. Mais la chambre