Il semble, quand on inspire de tels dévoûmens, qu’on ne puisse être malheureuse.
Elle eut bientôt aussi la consolation de voir sa mère. Depuis plusieurs années, la comtesse de Sabran était sans nouvelles directes de Delphine ; elle lui donna rendez-vous en Suisse. Elzéar vint de Coppet les rejoindre. Cette réunion leur fut bien douce, malgré les douleurs qu’elle renouvelait ; Mlle de Sabran avait cru sa fille perdue. Que de contrastes entre sa jeunesse si calme, les automnes idylliques passés à Anisy, les fêtes si naïves de son mariage et cette destinée si tragique ! Ce voyage en Suisse fit couler bien des larmes, mais Mme de Sabran, avec son amabilité voilée désormais de mélancolie, retrouva son esprit d’autrefois et fit renaître sa fille à la vie ; elle lui montra cette nature grandiose, si nouvelle pour des yeux habitués à d’autres spectacles. Comme elle était devenue, durant l’émigration, l’amie de Lavater, elle voulut lui présenter Delphine ; elles allèrent à Zurich rendre visite au célèbre créateur de la physiognomonie. Lavater, en apercevant Mme de Custine, se tourna vers Mme de Sabran et s’écria : « Votre fille est transparente ! On lit à travers son front ! Jamais je n’ai vu tant de sincérité ! »
Revenue en France, Delphine n’eut plus qu’une pensée, celle de rouvrir les portes de la patrie à sa mère, devenue la marquise de Boufflers, à son beau-père, à son frère Elzéar de Sabran. L’exil leur était de plus en plus amer. Mme de Custine retourna à La Malmaison prier Joséphine de disposer favorablement le maître. Un jour, en 1800, Duroc dit au premier consul : « Boufflers est sur la liste des émigrés, vous devriez ordonner qu’on le rayât. — Oui, sans doute, répondit Bonaparte, il nous fera des chansons. » Et Boufflers rentra. Ce n’était plus le brillant colonel, auteur Du cœur ; mais, malgré ses soixante ans et les tristesses de l’émigration, il avait gardé les qualités qui donnent à la vie commune le plus de charme : l’aménité et la bienveillance. Ducis pouvait lui adresser l’épître bien connue, dont les vers sans doute sont faibles, mais dont les sentimens honoreront toujours celui qui les exprimait. Boufflers était admis au moment de la réorganisation de l’Institut, en 1804, dans la classe de littérature, comme membre de l’ancienne Académie française. Sa vieille amie et lui ne possédaient même plus de débris de leur bien-être ; et le marquis de Boufflers était trop heureux d’accepter les modestes fonctions d’administrateur adjoint à la bibliothèque Mazarine.
Les survivans de cette incomparable société du XVIIIe siècle essayèrent de reprendre la conversation là où la révolution l’avait interrompue. Mme de Custine et sa mère voyaient souvent Mme de Staël, plus étincelante d’éloquence que jamais. Delphine lui avait