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XVIIIe siècle, qui était le sien par l’éducation et les sentimens, était bien au-dessous de lui par la culture de l’intelligence et par le tour de l’imagination. Elzéar ne lui avait pas plu du tout : « Il a trop d’esprit pour moi. » La mère, au contraire, quoique très abattue par l’exil et les privations, l’avait charmé par sa bonté et ses manières. Ce ne fut cependant jamais son milieu. Il y avait autant de désaccord entre eux qu’entre les petits vers de M. de Boufflers et les accens passionnés et éloquens de René.

Il avait assisté à la prise de possession de Fervaques ; la châtelaine déployait toutes ses grâces pour le fixer. Ces efforts n’étaient pas de trop. La seconde série de leur correspondance diffère en effet singulièrement, par le ton, des petits billets que nous avons donnés plus haut. Ce n’est plus lui, c’est elle qui supplie. Il s’est fait aimer, et il est déjà las de l’affection qu’il a inspirée. On en était à la période des services à demander, des susceptibilités sans cause et des indiscrétions commises.

Nous n’avons pas retrouvé une première lettre que Chateaubriand avait adressée à Mme de Custine depuis son retour. Elle est de juillet ; mais voici la seconde, datée du 1er  août 1804 :


« Je vois qu’il est impossible que nous nous entendions jamais par lettre. Je ne me rappelais plus pour quel objet je vous avais demandé un service ; mais si c’est pour celui que vous faites entendre, jamais, je crois, preuve plus noble de l’idée que j’avais de votre caractère n’a été donnée ; et c’est une grande pitié que vous ayez pu la prendre dans un sens si opposé. ; je m’étais trompé.

« Au reste, pour finir tout cela, j’irai vous voir ; mais mon voyage se trouve nécessairement retardé. Je ne puis avoir fini mes affaires au plus tôt à Paris ; je partirai donc de Paris de lundi prochain en huit, je serai une autre huitaine à errer chez mes parens de Normandie, de sorte que j’arriverai à Fervaques du 20 au 30 août. Vous sentez que je vous donnerai des faits plus certains sur ma marche avant ce temps-là.

« Ce que nous avons recueilli de tout ceci, c’est que les langues de certaines gens sont détestables, qu’il ne faut pas s’y fier un moment, et que notre grand tort est d’avoir eu quelque confiance dans leur amitié. De ma vie, au reste, je n’aurais été pris au piège où vous vous êtes laissé prendre : car de ma vie je ne confierai à personne l’affaire d’un autre, et surtout quand il sera question de certains services ; mais ensevelissons tout cela dans un profond oubli, dénouons sans bruit avec les gens dont nous avons à nous plaindre, sans leur témoigner ni humeur ni soupçon. Heureusement