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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/460

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amoureuse. Par une fausse lettre, il attire Buckingham en France et même au Louvre. Le galant s’échappe du piège; mais il n’a consenti à repartir qu’avec un souvenir de sa dame : des ferrets de diamans que lui avait donnés le roi. Renseigné par sa police, Richelieu conseille à Louis XIII de mener la reine au bal de l’Hôtel de Ville, dans quatre jours: ce sera une occasion pour elle de mettre ses beaux ferrets... Le cardinal répète, sans s’expliquer davantage : « Votre Majesté insistera pour que la reine se pare des ferrets... » Ah! cette fois, Anne d’Autriche serait bien perdue, si elle n’avait pour lingère et pour amie la petite Mme Bonacieux, la femme d’un épicier. Mme Bonacieux a sous la main, sous sa jolie main, un gaillard capable d’aller chercher les ferrets : « Mais ton messager, dit la reine, on l’arrêtera. — Celui que j’enverrai, madame, quand on l’arrête, il passe!.. » Elle s’est tout de même un peu avancée, la petite Mme Bonacieux, en garantissant le zèle de ce mousquetaire qui loge au-dessus de la boutique de son mari ; écoutez-la plutôt : « Monsieur, je vous connais à peine, mais j’ai toute confiance en vous;., pourquoi? je n’en sais rien. — Je le sais, moi! réplique d’Artagnan. C’est parce que je vous aime... » Et, parce qu’il l’aime, le voilà qui part, qui arrive : de Douvres à Portsmouth, il a crevé trois chevaux ; on n’est pas bien sûr qu’avec le premier il n’ait pas sauté la Manche. Il reçoit les ferrets de la main de Buckingham; il était temps! il voit tomber le duc sous le poignard de Felton. Il n’a plus que vingt-quatre heures pour refaire 125 lieues : un bon voilier, cette fois, et puis à franc étrier!.. — Quelles angoisses, à présent, au milieu de ce bal ! La reine n’a pas ses ferrets : le cardinal, sans avoir l’air d’y toucher, fait remarquer au roi cette négligence. Il glisse un avis en douceur : « On peut les envoyer chercher. » Et, pour gagner du temps, la malheureuse envoie au Louvre... Soudain, une rumeur s’élève : un homme a forcé la consigne, il monte par le petit escalier! c’est lui, d’Artagnan, qui sort de la muraille et prend la place d’un mousquetaire de garde ; poudreux, ruisselant de sueur, presque défaillant, il présente les armes en serrant un coffret sur son cœur. Sans que personne s’en aperçoive, il le remet à la reine, ce précieux coffret : sauvée ! elle est sauvée ! Richelieu en est tout pâle!.. Et nous, donc! Mal remis de cette alarme, nous adorons en frémissant les bons tours que la Providence joue aux hommes d’État.

Mais, si graves que soient ces événemens, je doute qu’on y prenne plus d’intérêt qu’aux affaires privées de ce héros, M. d’Artagnan, et de ses camarades. Entre les atrocités du prologue et les émouvantes péripéties du drame historique, c’est d’abord une joyeuse éclaircie que ce morceau de pantomime chevaleresque et d’épopée familière : l’arrivée à la cour de ce cadet de Gascogne, ses maladresses, ses trois querelles, coup sur coup, avec trois mousquetaires, ses trois duels fixés à midi,