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à sa ceinture : « Frère, lui dit-il, tu me connais, je suis las de la vie, de la vie qui pèse sur moi et sur les autres... » Le frère ne fait qu’une objection : « Mourir ! c’est une idée grave et sérieuse, songes-y ! » Après quoi, il donne au désespéré un de ses pistolets : « Tiens, frère,.. et embrasse-moi. — Adieu! » crie l’autre, et il s’enfuit. Rentre la mariée; alors, par ses reproches, l’homme qui est resté nous donne le mot de l’énigme : le malheureux qui vient de sortir était le curé ; sa prétendue sœur était sa maîtresse : le démon, sous les traits de cette jeune fille, avait séduit cet ange!.. Pour elle, naguère, « le prêtre vola les vases sacrés. » Arrêté secrètement, conduit « dans les prisons de Béthune, » il fut condamné aux galères et à la flétrissure. « Il y avait une chose terrible dans tout cela:., c’est que son frère était bourreau, bourreau de Béthune;.. et que, par conséquent, c’était le frère qui devait marquer le frère... » Un coup de pistolet résonne au dehors; l’homme, prestement, saisit un fer qu’il a mis dans le feu et l’applique sur l’épaule de la femme : « Je suis le bourreau de Béthune ! » Il saute par la fenêtre. Le gentilhomme, aussitôt, reparaît sur le seuil de la porte : « Entrez, monsieur le vicomte, votre femme vous attend.»

Ainsi devenue vicomtesse de la Fère, cette aimable personne, dans l’intervalle du prologue au premier tableau, se sera transformée en « Milady. » Par quel moyen? Oh! le plus simplement du monde. Un accident de chasse découvre à son mari la fleur de lis marquée sur son épaule; comme il est grand seigneur, il la fait pendre haut et court; un passant la décroche; elle se réfugie en Angleterre, épouse lord de Winter, l’empoisonne savamment et revient en France. Par la suite, elle poussera le poignard d’un assassin politique; elle versera la mort subite, en quelques gouttes, à une innocente petite femme. Mais attendons la fin!.. Un beau jour, ou plutôt une belle nuit, dans un site farouche, elle sera cernée par des justiciers ; chacune de ses victimes sera représentée par un vengeur; chacun, à son tour (on connaît sa Lucrèce Borgia!), lui reprochera un de ses crimes, en remontant du plus récent jusqu’au plus ancien. Le dernier de ces accusateurs, de ces témoins, de ces juges, un homme masqué, ôtera tout à coup son masque : le bourreau de Béthune!.. Le glaive est tiré, la rivière est proche : « Laissez passer la justice de Dieu! »

Bon! cette histoire-là n’est que pour servir de cadre à une autre, infiniment plus illustre! Celle-ci n’est pas seulement une histoire : c’est de l’histoire!.. Le duc de Buckingham, premier ministre du roi d’Angleterre, est amoureux d’Anne d’Autriche, reine de France: il prépare la guerre pour revenir ensuite négocier la paix à Paris. La reine, de son côté, conspire avec son frère, le roi d’Espagne, contre le gouvernement de Richelieu. Celui-ci, pour la perdre dans l’esprit de son époux, entreprend de la convaincre d’adultère, au moins d’intrigue