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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/467

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a donné aux animaux. À vingt ans, tu ne seras plus une femme, tu ne seras même plus une femelle… »

N’en doutons plus, n’est-ce pas ? Séverine est une femme. Étant amoureuse, elle s’est mariée ; étant mariée, elle reste amoureuse : c’est sa fonction naturelle et sociale. Étant trompée, elle est jalouse : c’est sa fonction dramatique. Pas un moment, durant cette crise, elle ne manque à l’une ni à l’autre. Comme elle écoute ce récit de la femme de chambre, comme elle est suspendue à ses lèvres, et de quel souffle bref elle lui réplique ! Elle reprend haleine, et voilà sa mère toute suffoquée, ainsi que par un vent d’orage, par le jaillissement de sa confidence et de sa plainte. Elle se trouve en face de son mari ; du premier mot, elle lui reproche l’adultère de cette nuit, mais ce reproche même est amoureux ; elle en veut à sa rivale, assurément, plus qu’à cet homme dont elle réclame le désir : « Je ne suis pas aussi belle qu’elle, c’est vrai, mais je suis plus jeune. » Et soudain, ce cri : « Mais dis-moi donc que tu m’aimes ! » Lui, lorsqu’elle se jette dans ses bras, murmure : « Prends garde, si quelqu’un entrait ! » Elle, aussitôt : « Et que m’importent les autres ! » c’est un mondain et c’est une amoureuse ; et l’amour se moque du monde. Elle a parlé de se tuer tout à l’heure ; elle a parlé aussi de punir de mort la trahison ; sa mère lui a répondu : « c’est une bien grosse affaire ! Te représentes-tu une femme comme il faut ayant tué son mari par jalousie ? » Mais il s’agit bien de « femme comme il faut ! » c’est ici une femme qui souffre, et qui a peur elle-même des emportemens de sa douleur : « Je veux pardonner, je veux oublier… Je serais trop malheureuse sans cela ! Et puis je te tuerais, je le sens ! » c’est une femme qui implore, comme un enfant, le remède qu’il faut à ses angoisses, à ses craintes : « c’est cela, parle, dis-moi quelque chose. Prends-moi dans tes bras, j’ai froid… Oui, dis-moi : tu. Je croirai tout ce que tu voudras, si tu me dis : tu. » Et, en effet, elle le croit, si grossière que soit sa fable. Et elle s’attendrit, elle s’assouplit ; elle n’a plus que des malices gentilles : « Tu ne lui parleras pas tout bas… Tu ne lui feras pas de signes… — Je ne lui parlerai pas du tout. — Si ! parle-lui, tu sais, comme on parle à toutes les femmes, tout haut, mais le moins possible. » Elle n’a plus que des méchancetés d’amoureuse triomphante : « Comme je t’aime ! s’écrie-t-elle en prenant la tête de son mari dans ses mains… Ah ! je voudrais qu’elle entrât en ce moment ! » Et, à peine seule, à peine refroidie du contact de l’homme, elle recouvre sa raison, elle soupçonne le mensonge : « Oh ! je suis lâche et une malheureuse ! »

Non, elle n’est pas une lâche ; mais elle n’est pas non plus une Hermione ni une Roxane (sa mère lui disait tout à l’heure : « Laissons là les Roxane et les Hermione ! »). Elle ne ressemble vraiment