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de celles qui peuvent attendre ; et, d’ailleurs, de quel poids ne serait pas notre épée dans la balance, si nous nous présentions avec une épée libre et des cœurs sans préjugés ! J’ose dire que l’Europe nous bénirait ; mais elle nous bénirait — en nous méprisant ; et le mépris de nous-mêmes serait le triste prix d’un repos si chèrement acheté. Et les victimes elles-mêmes, qui n’ont encore rien oublié, ces victimes qui pleurent et qui souffrent, pourquoi souffrent-elles ? parce qu’elles protestent ; pourquoi protestent-elles ? parce qu’elles croient. Elles aussi, et avec bien plus de raison, puisqu’elles ne peuvent rien par elles-mêmes, elles aussi ne pourraient-elles pas dire : les faits sont les faits ; la loi historique a prononcé ; nous avons payé notre dette ; pourquoi immoler nos enfans ? Acceptons les faits accomplis. Que ne paierait-on pas une telle déclaration ? Que de bienfaits couleraient avec abondance sur ces nouveaux enfans ralliés à la victoire ! Nous le demandons à ceux qui raillent l’idée de droit comme une vaine abstraction, pourquoi rien de tout cela n’est-il possible ? pourquoi aucune voix, ni d’un côté ni de l’autre, ne s’est-elle élevée, pourquoi aucune n’oserait-elle s’élever pour parler ainsi ? Pourquoi, si ce n’est parce qu’il y a là une force plus grande que tout, une force invisible et immatérielle, qui impose le silence à l’égoïsme et à l’infidélité, et que l’on appelle le droit ! Que cette force soit un sentiment ou une idée ; qu’elle soit issue des entrailles du passé ou qu’elle soit une émanation de la raison divine, toujours est-il que c’est quelque chose qui s’impose aux faits et qui s’oppose à la force. Ce n’est pas là, on le voit, une chose morte : c’est au contraire la chose vivante par excellence. Un enseignement qui reposerait sur une telle idée ne serait pas un souvenir du moyen âge, un vieux spectre desséché ; ce serait l’enseignement le plus vital, le plus jeune et le plus opportun.

Mais à quoi peuvent servir, dira-t-on, de telles raisons données après coup et après les questions résolues ? Nous répondrons qu’elles peuvent servir beaucoup, et que la question n’est pas résolue, mais qu’elle reste ouverte. Ceux qui ont déploré l’acte du Collège de France comme une destruction absolue ne se sont pas rendu compte de l’élasticité de notre système actuel d’enseignement supérieur. Quelques explications sur ce point peuvent, je crois, adoucir les regrets et susciter pour l’avenir de nouvelles espérances.

Dans l’ancien système, tel qu’il existait encore il y a quelques années, les chaires étaient considérées, sauf exception, comme absolument immobiles. Une chaire existait pour l’éternité ; devenait-elle vacante, elle était remplie, coûte que coûte, par la personne la plus en mesure de l’obtenir, quels que fussent ses titres et ses talens. Il pouvait arriver, si le choix était malheureux, qu’une chaire