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l’excitation. Tel est l’objet de la science que l’on appelle la psycho-physique.

Il nous serait difficile, sans entrer ici dans beaucoup de développemens qui nous sont interdits, de donner une idée même superficielle des recherches auxquelles a donné lieu ce problème précédent. Disons seulement que les recherches et les théories sont venues se réunir et se condenser dans cette fameuse loi, dite loi de Fechner, dont on connaît la formule, à savoir : « La sensation croit comme le logarithme de l’excitation, » loi préparée et peut-être même trouvée par Weber, qui lui donnait cette autre forme très semblable à la précédente : « Les sensations croissent de quantités égales quand les excitations croissent de quantités relativement égales. » Pour fixer les idées, disons, par exemple, que toute excitation nouvelle, pour être sentie, doit être le tiers de l’excitation précédente, par exemple 1 gramme pour 3 grammes, 10 grammes pour 30 grammes. Soit un orchestre de cent violens, ou un chœur de cent choristes ; si vous voulez une augmentation de sons perceptible, il faut ajouter trente-trois violons ou trente-trois choristes. Si vous vous contentez de vingt-huit, vous perdrez votre argent, ce sera comme si vous n’ajoutiez rien du tout. La loi de Fechner a été très contestée ; et certains mathématiciens se sont élevés contre cette application du calcul à la psychologie. Le logarithme, a-t-on dit, est un nombre, et ne peut être logarithme que d’un nombre. Il faut donc que la sensation et l’excitation puissent être représentées par des nombres. Or tout nombre suppose une unité. Quelle est l’unité de sensation qui permet de former des nombres de sensation ? Par quel procédé trouvera-t-on qu’une sensation est égale à une autre, qu’elle est double, qu’elle est triple ? « La sensation est un phénomène qui se passe en nous, que nous saisissons en nous par sa face intérieure et qui est rebelle à toute mesure. Sans doute, une sensation peut être plus ou moins vive ; mais cela suffit-il pour que la sensation soit une quantité » Une qualité, la beauté, par exemple, peut être aussi plus ou moins grande. Les seules grandeurs que l’on puisse mesurer directement sont celles dont on peut définir l’égalité et l’addition… Or qu’est-ce que l’égalité ou la somme de deux sensations[1] ? »

  1. Revue scientifique, 13 mars et 24 avril 1875. — En outre, M. Delboeuf, l’un des défenseurs de la psychophysique, a lui-même fait un certain nombre d’objections à la loi de Fechner, et il pense qu’on ne peut la conserver sous sa forme primitive. Il résulterait, dit-il, de cette loi, les trois conséquences suivantes qui sont inadmissibles : 1° que, pour une excitation 1, on a une sensation = 0 ; 2° que pour une excitation moindre que 1, on a une sensation négative ; 3° que pour une excitation = 0, on a une sensation qui serait égale à l’infini négatif. — Mais, tout en rejetant la forme de la loi de Fechner, M. Delbœuf croit cependant que l’on peut conserver la psychophysique, et il a essayé pour sa part d’éviter les objections des mathématiciens en employant d’autres formules. De plus, il s’est particulièrement attaché à mesurer la sensation de fatigue (Voir ses Élémens de psychophysique, Paris, 1883, et son Examen critique de la loi psychophysique, 1883.)