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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/606

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quarante-trois ans. Ainsi que son frère, une maladie violente l’emportait soudainement.


IV

Aux termes de la constitution, les chambres se réunirent pour désigner le successeur au trône. Ce choix ne pouvait porter que sur un chef de la race des alii, ou nobles héréditaires. William Lunalilo, cousin du roi, fut élu à l’unanimité moins trois voix.

Je l’avais beaucoup connu à l’époque où, ministre de son prédécesseur, je siégeais avec lui à la chambre des nobles. Jeune, brillant cavalier, il menait la vie large et facile des chefs, dépensant sans compter, riche, prodigue et endetté ; intelligent et bien doué, il gâtait tous ses avantages par son penchant à l’ivrognerie. Lui aussi avait greffé sur les vices héréditaires ce vice odieux contre lequel il luttait en vain, étonnant ses familiers par de longs accès de sobriété, interrompus par de brutales orgies. Grâce à sa merveilleuse constitution physique, quelques jours de repos suffisaient pour en effacer les traces apparentes.

Le peuple l’aimait pour ses qualités et aussi pour ses défauts. Elevé par les missionnaires américains, imbu de leurs idées républicaines, orateur éloquent, il réunissait aux qualités extérieures d’un chef et d’un prince les instincts et les goûts d’un radical. Le parti américain voyait en lui le précurseur qu’il attendait : l’un roi, dédaigneux de la royauté, républicain de convictions, prêt à aliéner l’indépendance du pays pour en faire une annexe de la grande république des États-Unis.

Sur ce dernier point, ils se trompaient, ou le temps leur manqua pour obtenir de lui ce qu’ils en attendaient. Treize mois après son avènement, Lunalilo mourait sans laisser d’héritiers.

Une fois de plus, le trône était vacant, et l’assemblée appelée à procéder à une nouvelle élection. Deux prétendans se mettaient sur les rangs : la reine Emma et David Kalakaua. En consentant à sortir de la retraite où elle vivait et en laissant poser sa candidature, la reine Emma cédait aux vœux de la population indigène, dont elle était l’idole. Son inépuisable charité lui avait conquis les cœurs, et les Kanaques, effrayés de ces coups répétés qui frappaient leurs souverains, inquiets des rumeurs d’annexion propagées par les Américains, espéraient conjurer le sort et assurer leur indépendance en s’abritant derrière celle en qui ils voyaient une sainte et une bienfaitrice. Mais l’élection de la reine Emma ne pouvait être une solution. Veuve, sans enfans, décidée à ne pas se remarier, elle ne