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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/607

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pouvait ni fonder une dynastie ni donner au pays des garanties d’avenir.

David Kalakaua était marié, assez jeune pour espérer des héritiers, à défaut desquels son frère, encore enfant, pouvait lui succéder. D’un rang moins élevé que son prédécesseur, mais de race noble, il remplissait les conditions exigées par la constitution. Kaméhaméha V, qui le tenait en estime particulière, avait encouragé son désir de s’initier au maniement des affaires ; il lui réservait le ministère de l’intérieur. Sobre et de vie régulière, David Kalakaua ne participait à aucun des excès des jeunes chefs. Les étrangers l’aimaient et l’estimaient. Ces considérations militaient en sa faveur et, dans l’assemblée, lui ralliaient la majorité.

Au dehors, il n’en allait pas de même ; les indigènes acclamaient la candidature de la reine Emma. La sympathie avec laquelle les étrangers, et notamment les Américains, accueillaient celle de David Kalakaua leur était d’autant plus suspecte qu’ils n’ignoraient pas que le gouvernement des États-Unis, désireux d’assurer à sa marine de guerre et de commerce un port de refuge et de ravitaillement dans l’Océan-Pacifique, offrait au gouvernement havaïen de lui acheter, à un prix élevé, l’embouchure de la rivière de la Perle, à l’ouest de Honolulu, pour y établir un entrepôt de charbon. Les Kanaques voyaient dans cette cession un premier pas vers l’annexion, et ils accusaient David Kalakaua d’y être favorable. Il n’en était rien, mais les défiances étaient éveillées, et ses adversaires fomentaient l’irritation.

Plus sage et plus politique, l’assemblée savait à quoi s’en tenir sur ces accusations passionnées. Elle n’ignorait pas que ni le roi ni elle, l’eussent-ils voulu, n’auraient pu faire accepter une annexion, à laquelle d’ailleurs la grande majorité des représentans et la totalité des nobles étaient hostiles. Écartant donc ces appréhensions, elle élut par 39 voix David Kalakaua ; 6 voix seulement se portèrent sur la reine Emma.

Le résultat du vote déchaîna les passions. La foule envahit la salle des séances, arracha les députés de leurs sièges, en blessa plusieurs, brisa les meubles, détruisit les archives. L’intervention des troupes ne put arrêter le désordre ; repoussées par la populace, elles durent se retirer, après une lutte sanglante. Redoutant de plus grands malheurs, le ministère fit appel aux bâtimens de guerre anglais et américains qui se trouvaient dans le port, pour empêcher le sac de la ville. Les compagnies de débarquement et les équipages descendirent en armes et rétablirent l’ordre.

Ce mouvement populaire visait moins encore le nouveau souverain que les étrangers et surtout les Américains établis aux îles, soupçonnés de menées annexionistes. Très attachée à ses chefs et