comme ces représentations totales de la vie que les Égyptiens gravaient à l’issue de leurs galeries sépulcrales,
C’est une autre fêle, sous le dôme du ciel. Le soleil de juin l’éclaire. La France porte son poète au Panthéon. Des flancs de l’arche triomphale, là-haut, un fleuve d’hommes descend, grossit en route et devient une mer. Ce peuple, lui aussi, suit le cercueil d’un souverain, du seul qu’il ait reconnu et respecté. Comme l’autre, ce monarque s’en va chargé du poids de son siècle, de son œuvre et de sa gloire ; comme l’autre, il a passé les limites ordinaires de la vie humaine, et chacun de ses jours a été une journée de travail. En France, comme aujourd’hui en Allemagne, c’est la même stupeur devant une mort qui ne semblait pas possible, le même désarroi devant un vide que nul ne peut combler. Mais ici, point de couronne, pas de simulacres, pas de gardes. Les seuls serviteurs qui escortent le défunt, ce sont des maîtres imprimeurs. Avec cette poignée de soldats et quelques livres de fonte, moins qu’il n’en faut pour forger un des canons de l’autre roi, celui-ci a conquis son empire. Empire plus vaste, car les deux hémisphères en relèvent, ils ont envoyé leurs délégations ; plus absolu, car personne ne le conteste ; plus durable, car il s’augmente de tous ceux qui naissent. Derrière le char, on devine aussi des fantômes ; ce ne sont pas des morts stériles, retranchés à jamais de la vie universelle ; ce sont des créatures fécondes et bienfaisantes, ajoutées à celles de Dieu pour doubler le monde réel d’un monde enchanté. Le convoi traverse lentement la ville, fendant à grand’peine ces masses compactes de sujets ; leur nombre défie tout calcul, l’histoire n’a pas souvenir d’une pompe aussi colossale : c’est un peuple entier qui roule ce mort dans ses flots.
Qui est-il donc, ce peuple, et quels sentimens le poussent ? Si l’on extrait du cortège l’élite intellectuelle de la nation, — et elle ne fait pas compte, goutte d’eau perdue dans cet océan, — si l’on prend séparément chacun de ces anonymes, il n’y aura pas de mots pour dénombrer les ridicules et les sottises qui se sont donné rendez-vous aux obsèques de ce roi de l’esprit. On voit là toutes les palinodies de la politique d’estaminet, toutes les inventions grotesques ou indécentes de la plèbe, toutes ses passions mesquines ou niaises ; durant des jours et des nuits, elle s’est fait un jouet de ce cadavre, elle ne se résolvait plus à s’en séparer, elle s’ébaudissait autour de lui aux chansons et aux ripailles. Parmi les spectateurs accourus sur les larges voies où on le promène, c’est la curiosité