prophétisé pour des dieux qu’ils ne servaient pas, il reste fidèle aux siens, dévoué aux intérêts de sa condition ; mais son génie regarde par-dessus le mur qu’il bâtit et dénonce la vanité de ce qu’il fait devant la fatalité de ce qu’il voit. M. de Bismarck n’a jamais caché ses pensées intimes ; en ses jours d’humeur, il prédit l’avenir, et il le prédit sombre. Que de fois, du haut de la tribune du Reichstag, sa voix ironique a soufflé sur les illusions de ceux qu’il sert, en Allemagne et au-delà ! Le fond de ses discours les plus sincères est un étrange composé d’orgueil et de philosophie sceptique ; on peut le condenser dans cette phrase : « Si l’on ne m’écoute pas, le vieux monde est perdu ; il le sera quand je ne parlerai plus. » Le 29 novembre 1881, il montrait la république comme le terme fatal de l’évolution libérale, « tant que le progrès est livré à lui-même et que le militarisme prussien ne lui oppose pas une digue. » Il ajoutait : « Avec tout le poids que mon expérience et ma position donnent à mon témoignage, j’exprime ma conviction que la politique du parti progressiste nous rapproche lentement de la république. » Or, il n’ignore pas qu’après lui, les progressistes auront tôt ou tard les mains libres. Pour se consoler, dans ce même discours, il promenait ses regards sur l’Europe, il marquait l’heure de la république au cadran des divers états, il l’annonçait prochaine à celui qui est aujourd’hui l’un de ses meilleurs alliés. Les réserves de style et les conditionnels de courtoisie adoucissaient à peine l’affirmation qui était dans sa pensée ; on sentait que la source amère jaillissait des profondeurs méditatives de cet esprit, entre les blocs de granit accumulés sur elle par l’homme d’action. Comme toujours en pareil cas, il se tournait vers le foyer du mal, il donnait en exemple la nation de scandale. Quand il feint de s’émouvoir contre nous, ce ne sont pas quelques déplacemens de garnisons qui l’effraient, comme il le dit et le fait croire au vulgaire ; c’est le principe antagoniste que nous personnifions dans le monde vis-à-vis du sien ; il en méprise la valeur morale, mais il en connaît la force historique, et il la redoute.
Il y a pensé sans doute plus d’une fois, au lendemain du coup irréparable qui découronnait son principe. Pendant la fête de la cathédrale, où il ne figurait pas, tandis que la. Mort traçait sur son tableau noir cette vision d’apothéose, le contemplatif de Varzin revoyait peut-être, sur ce même tableau, l’autre allégorie funèbre qu’elle y peignait naguère dans Paris. Trois années à peine séparent les deux chefs-d’œuvre de l’inimitable artiste ; un rien de temps oublié, pour celui qui regardera dans cent ans, et qui verra les deux grandes fresques symboliques sur le même plan, simultanées, parallèles, placées à la fin de notre siècle pour en résumer le sens,