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souhaitaient que la France commençât à Brest et finit au pont du Var. Ai-je besoin de rappeler que la chute du cabinet que présidait M. Jules Ferry fut foudroyante et si complète qu’il ne s’est plus relevé ?

Comment M. Camille Pelletan, armé d’un rapport laborieusement machiné, ayant avec lui l’extrême gauche et une partie de la droite intransigeante, perdit-il le procès qu’il fit à la politique d’extension coloniale ? C’est que « l’âme de la patrie planait sur l’assemblée, » selon la belle expression de M. de Mahy, et qu’il était de toute impossibilité que le sang de Garnier, du chevaleresque Rivière et de tant d’autres héros aux noms obscurs, eût été répandu pour aboutir, après un effarement sans nom, à la plus honteuse des reculades.

Depuis cette date néfaste et, en dépit des plus sinistres prédictions, la situation de nos colonies dans l’extrême Orient s’est sensiblement modifiée dans un sens satisfaisant, surtout si l’on se reporte au passé. Notre escadre est rentrée à Toulon ; une grande partie des troupes du corps expéditionnaire est revenue dans ses cantonnemens, non sans avoir été acclamée, fêtée, comme il convenait qu’elle le fût. La Cochinchine, le Tonkin et l’Annam nous restent. L’empire du Milieu, que l’on disait rancunier, disposé à toutes les trahisons, prouve qu’il désire la paix. Le gage certain de sa sincérité n’est-il pas dans le traité de paix qu’il vient de signer avec nous, traité qui nous ouvre sa frontière de l’ouest, c’est-à-dire l’un des plus vastes marchés du monde ? Loin de nous garder rigueur, le vice-roi Li-Hung-Chang, le seul grand homme politique qu’il y ait en Asie, confie à des ingénieurs français l’exécution d’immenses travaux. Il n’est pas jusqu’à Madagascar où notre influence, jadis si précaire, ne paraisse mieux assise. Les Malgaches éludaient avec une opiniâtreté qui devait fatalement aboutir à de sanglans efforts, les clauses de la convention qui les liaient à la France. Aujourd’hui, grâce à l’énergie, à l’admirable entendement des affaires de notre résident-général à Tananarive, M. Le Myre de Vilers, il n’est pas d’aventuriers et de chevaliers d’industrie à la solde du gouvernement malgache, pas de distributeur de bibles en quête d’une situation, qui de gré ou de force, ne reconnaissent notre droit de contrôle sur l’île et notre ferme volonté de le faire respecter.

Ces résultats sont absolument inespérés, même pour quelques-uns de ceux qui les avaient prédits. Il fallait que leur foi dans un succès final fût bien robuste, car jamais notre politique coloniale n’avait été livrée à un tel tâtonnement, à des mains plus inexpérimentées. Rarement intérêts plus sérieux n’avaient sollicité l’attention de gouvernans plus indécis. Les chambres édifiaient pour détruire ; elles allaient, comme un bateau sans boussole, du protectorat à l’annexion et de l’annexion au protectorat. Certains de ces