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être mauvaise et même suivie de plusieurs autres aussi mauvaises. A plus forte raison en est-il ainsi des biens de la mer, que nous n’avons rien fait pour mériter. Pourquoi donc la sardine reviendrait-elle chaque saison en quantité égale, quand l’inégalité est la règle presque nécessaire de tout phénomène annuel ? A la vérité, les années de disette de sardines se sont répétées, ces derniers temps, plus qu’elles ne l’avaient fait depuis près d’un siècle. En sept ans, on en a compté six, trois d’abord et trois ensuite, séparées par une année moyenne : 1883. Or, si nous remontons aussi loin que le permettent les rares documens certains qu’on possède, nous voyons que jamais en effet plus de trois mauvaises années ne se sont succédé. On a donc pu prévoir, — autant que les prévisions sont permises en biologie, — que l’année 1887 serait tout au moins moyenne. Elle a été exceptionnelle d’abondance. Mais le contraire se fût-il produit, la sardine eût-elle complètement disparu, ce n’est certes pas à la pêche plus ou moins intensive, à tels ou tels engins qu’il eût fallu s’en prendre. Ici, nous avons l’exemple du hareng, qui a déserté à diverses reprises, et pendant de longues années, les parages de Bergen, sur la côte de Norvège. Bergen est un vieux port de pêche, autrefois rattaché à la Hanse. De bonne heure, le commerce y a pris des habitudes d’ordre. Les archives de la ville, entre autres renseignemens précieux, nous donnent le compte du hareng péché pour être mis en sel, depuis l’origine de cette industrie en 1460. Or on voit par ces archives qu’en 1567, le hareng disparut de la côte. En 1644, c’est-à-dire soixante-dix-sept ans après que la pêche avait cessé, il reparut près de Stavanger et ensuite plus au nord près de Bergen. De 1650 à 1654, il disparaît, et c’est seulement plus de quarante ans après, vers la fin du XVIIe siècle, qu’on reprend la pêche. Elle continue avec des résultats très variables pendant près de quatre-vingt-dix ans, jusqu’en 1784. Alors le hareng se dérobe de nouveau pendant vingt-quatre ans, et ce n’est qu’en 1808 qu’on commence à le retrouver aux environs de Bergen. A partir de 1835, il semble se déplacer et descendre vers le sud. Depuis 1870, la pêche du hareng avait cessé une fois de plus sur la côte sud-ouest de Norvège, quand, il y a quatre ou cinq ans, quelques bandes se sont montrées et ont fait revivre de nouvelles espérances.

Mais quelles belles occasions n’a-t-on pas eues vers 1567 ou 1650, en 1784 ou 1870, pour incriminer les filets, pour parler de la destruction d’une source vive de richesses par les engins employés ou par la quantité de poisson enlevée à la mer ? Toutes ces déclamations on les a entendues, quand la sardine, deux ou trois ans de suite, a paru abandonner nos côtes. Nous ignorons si les pêcheurs norvégiens ont été plus raisonnables et de meilleur sang-froid que les nôtres. Il est probable qu’ils ont aussi expliqué la chose à leur