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Chef indépendant et indiscipliné, quelle autorité avait-il pour faire sentir le frein de la discipline à de jeunes officiers, au plus modeste sous-lieutenant ? Que serait-il arrivé de plus si, à son exemple, d’autres commandans de corps d’armée, d’autres généraux, au lieu de rester les généreux et silencieux serviteurs du pays, avaient voulu, eux aussi, s’agiter, briguer un rôle bruyant, jeter leur panache dans la mêlée des partis ? C’était la désorganisation de l’armée, le commencement de la plus mortelle des anarchies, de l’anarchie militaire. La mesure qui a frappé l’ancien commandant du 13e corps éiait une nécessité de préservation ; c’était aussi une satisfaction, aussi légitime que salutaire, donnée à l’armée, à cette armée modeste, laborieuse et dévouée, qui n’a pas attendu M. le général Boulanger pour être organisée, pour sentir sa force et être digne de la France. Le ministre de la guerre, M. le général Logerot, qui est un soldat à l’esprit juste et sincère, a fait ce qu’il a dû. Son seul tort a été peut-être de se laisser un peu trop troubler au début par des considérations ministérielles et parlementaires, de ne pas aller dès le premier jour résolument devant la chambre pour revendiquer tout son droit, de laisser s’agiter des questions de discipline dans des discussions sans issue, surtout sans profit pour la dignité et l’intérêt de l’armée. Le gouvernement a eu ce qu’on pourrait appeler l’énergie de la dernière heure, et le bruit que M. le général Boulanger a essayé de faire, le torrent d’injures qu’il a laissé déchaîner contre ses juges, le langage qu’il tient lui-même aujourd’hui, prouvent qu’il n’était que temps de le rendre à son rôle de tribun ; il le jouera comme il voudra, il faut bien s’y attendre, il ne le jouera plus sous l’uniforme.

A quoi tient cependant cette étrange fortune avec laquelle on n’en a peut-être pas encore fini ? Beaucoup de républicains, effrayés au dernier moment de cette espèce de fantôme de césarisme qu’ils ont vu se relever devant eux, n’ont point hésité à soutenir le gouvernement, à lui prêter main-forte dans ses sévérités, et c’est assurément ce qu’ils avaient de mieux à faire ; mais, en vérité, c’est voir le danger un peu tard. Ce qui arrive aujourd’hui, c’est l’œuvre des républicains de toutes les nuances, à peu d’exceptions près ; ils le préparent depuis longtemps par leurs idées, par leurs connivences, par leurs encouragemens. Toutes les fois qu’il s’est trouvé un soldat indiscipliné frappé par ses chefs, ils l’ont soutenu, ils l’ont relevé de ses disgrâces et ils lui ont même donné quelquefois une position publique. S’il y avait des généraux strictement fidèles à leurs devoirs militaires et jaloux de défendre l’armée contre l’invasion de la politique, ils ont tenu ces généraux pour suspects ils les ont poursuivis jusqu’au jour où ils ont pu les exclure de l’activité. Ils n’ont été satisfaits que lorsqu’ils ont vu au ministère de la guerre des militaires empressés à leur donner des gages, à flatter leurs passions et leurs ressentimens, leurs préjugés et leurs