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l’anarchie parlementaire qui fleurit au Palais-Bourbon, l’anarchie de la commune qui triomphe à Marseille, et l’anarchie militaire représentée par M. le général Boulanger, encouragée par quelques-uns des républicains eux-mêmes. Triple perspective offerte à la nation qui se croit souveraine et qui passe pour ne pas manquer d’esprit !

On en est là pour le moment, et cet incident dont M. le général Boulanger est le héros, qui a tout éclipsé pendant quelques jours, n’est pas le moins curieux dans cette histoire de l’anarchie du temps. C’est assurément une destinée singulière que celle de ce soldat, dont la carrière n’a pas été sans mérite, qui aurait pu avoir encore à son rang un rôle brillant, peut-être utile dans l’armée, et qui finit, si c’est la fin comme un indiscipliné, comme un révolté, perdu par une ambition équivoque, par une fausse popularité et par les flatteries des partis Le voilà maintenant retranché des cadres de l’armée, rendu, comme on dit, à la vie civile, et élevé à la dignité de porte-drapeau du radicalisme et de césar sans panache, promenant sa candidature plébiscitaire dans les départemens ! C’était un dénoûment inévitable, et le gouvernement, l’eût-il voulu, ne pouvait pas faire autrement. M. le général Boulanger, dans sa haute position de commandant d’un corps d’armée, s’était déjà exposé, il y a quelques mois, à subir une peine disciplinaire. Il n’y a que quelques semaines, malgré les ordres qu’il avait reçus, qui lui interdisaient de venir à Paris, il n’a suivi que sa fantaisie, — et M. le ministre de la guerre a été obligé de prononcer sa mise en non-activité par retrait d’emploi. Cela n’a pas suffi : M. le général Boulanger a continué à se mettre au-dessus des lois militaires ; il a voulu faire du bruit, exciter ses amis, protester ou laisser protester en son nom contre un acte de son chef, — et M. le ministre de la guerre n’a plus eu d’autre ressource que de réunir un conseil d’enquête, dont la décision a déterminé la mise à la retraite d’office de l’ancien commandant du 13e corps. L’exécution s’est accomplie, elle était devenue une nécessité d’ordre public. La vérité est qu’en dehors même de ces incidens d’indiscipline qui ont décidé les dernières mesures du chef de l’armée, M. le général Boulanger, à Clermont ou à Paris, s’était fait une position qui n’avait plus rien de compatible avec les règles sévères et précises de la vie militaire. Ce n’était plus un soldat obéissant comme les autres, attaché à ses devoirs ; c’était une sorte de tribun soldatesque, recherchant l’ostentation et les manifestations, prenant ses aises avec le gouvernement et avec les lois, affectant l’attitude d’un défenseur privilégié de la dignité nationale, livrant son nom aux conciliabules politiques et aux brigues électorales. Il était arrivé au point où il devait choisir entre la résolution virile, désormais difficile, de revenir sur ses pas, de rentrer amplement dans le devoir, et une émancipation définitive de la vie militaire : il ne pouvait plus rester ce qu’il était !