Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 86.djvu/812

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dissuadés de leur projet, non sans peine, il invitait le général à retarder d’un mois la construction du fort, afin d’avoir le temps de recevoir, sur ce grave sujet, les instructions de l’empereur son maître. La Moricière et Bedeau ne jugèrent pas devoir tenir compte de cette mise en demeure, et, le 27 avril, la construction fut entreprise.

Le 1er mai, les échos des montagnes marocaines répétèrent les salves d’artillerie tirées du marabout de Lalla-Moghnia en l’honneur du roi, dont c’était la fête. Le 3, on reçut du kaïd d’Oudjda une lettre encore toute pleine d’assurances pacifiques. Cependant, le 6, le chef des Ouled-Riah, Bel-Hadj, qui rentrait d’émigration avec deux douars de la tribu seulement, rapporta des nouvelles absolument contraires. Il assurait que partout, sur la frontière, on prêchait la guerre sainte, et que, près d’Oudjda, il y avait, sous les ordres de Si-el-Arbi-el-Kebibi, un camp de réguliers noirs. En effet, chaque matin, on entendait clairement le bruit des exercices à feu, et, des hauteurs voisines, on distinguait à la longue-vue les tentes dressées autour de la ville. D’Oudjda à Lalla-Maghnia, il n’y avait guère qu’une trentaine de kilomètres.

Pendant ce temps, la redoute, entourée d’un fossé profond de 2 mètres et large de 4, était armée sur ses saillans de canons en barbette ; dans l’intérieur, huit grandes tentes abritaient les vivres, le matériel et l’ambulance. Il y avait même un marché que les Arabes avaient fréquenté d’abord ; mais, depuis quelques jours, ils n’y venaient plus. Tous les symptômes étaient donc à la guerre.

En même temps que les dépêches allaient avertir le maréchal Bugeaud en Kabylie, La Moricière prescrivait au général Bedeau de ne laisser à Sebdou qu’une petite colonne et de se tenir prêt à le rejoindre ; au général Tempoure et au lieutenant-colonel Eynard de rester, l’un aux environs de Sidi-bel-Abbès, l’autre aux environs de Tiaret ; au général de Bourjolly d’expédier de Mostaganem à Oran deux de ses bataillons et d’en appeler deux autres d’Orléansville ; au général Thiéry de réunir en avant d’Oran, prêts à marcher au premier signal, quatre bataillons, la cavalerie disponible et le maghzen.

Les informations de la diplomatie concordaient avec les renseignemens militaires. « On écrit de Fez, disait dans une dépêche du 13 mai M. de Nion à M. Guizot, que la guerre sainte contre les Français est hautement proclamée. Ce ne sont plus seulement les Kabyles de la frontière qui prennent part au mouvement, ce sont aussi plusieurs grandes tribus du centre. Un seul mot d’ordre circule aujourd’hui dans tout l’empire : « Dédain des menaces de l’Espagne, haine et vengeance contre les Français, confiance dans la protection de l’Angleterre. »

Le 16 mai, dans la soirée, un juif de Nédroma, revenu d’Oudjda la